En détruisant un de ses propres satellites, la Russie a provoqué un tollé international. L’incident a produit, selon plusieurs sources, quelque 1500 débris dans l’espace. Selon le directeur général et cofondateur de ClearSpace, Luc Piguet, cela pose de graves questions quant à la durabilité de l’espace et à son risque de militarisation. Sa société ClearSpace, créée en 2018 à Lausanne, a conclu en 2020 un contrat avec l’Agence spatiale européenne (ESA) pour récupérer Vespa, une structure de 120 kilos de la fusée européenne Vega mise en orbite en 2013. Une mission qui devrait avoisiner les 100 millions de francs. Son outil: ClearSpace-1, un vaisseau qui fait office de «dépanneuse spatiale».

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Le Temps: Quelle est votre première réaction?

Luc Piguet: Utiliser un missile pour éliminer un satellite est la pire chose à faire. L’Inde l’a fait il y a quelque temps. L’incident de lundi a produit des débris plus ou moins grands. Beaucoup sont de petites tailles et ne peuvent être détectés depuis la Terre. C’est un grand danger, surtout dans l’orbite basse où le tir a eu lieu, soit à environ 400 kilomètres de la Terre. Les conséquences pour la Station spatiale internationale (ISS) peuvent être désastreuses. A nos yeux, ce n’est pas du tout la manière de procéder pour rendre l’espace vivable.

Que faut-il faire?

Nous devons plutôt aller chercher les vieux satellites qui sont en panne. Il faut éliminer les sources premières, à savoir la présence de satellites hors service dans l’espace. On compte actuellement quelque 5000 gros objets qu’il faudrait idéalement récupérer. C’est la philosophie que défend ClearSpace. Le missile antisatellite est la pire arme qu’on puisse utiliser. Il impacte tout le monde, y compris les Russes. A l’ISS, plusieurs modules sont russes et pour se protéger, les astronautes qui y sont actuellement se sont un instant réfugiés dans une capsule Soyouz. Par ce tir de missile, on se tire une balle dans le pied.

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Y a-t-il vraiment un danger pour l’ISS comme l’affirme la NASA, sachant que les débris sont vraiment très petits?

L’ISS dispose d’un bouclier qui protège certaines parties vulnérables contre de petits objets millimétriques. Dans le cas présent, nous parlons d’objets de 5 à 10 cm. Ceux de 5 cm ne sont pas observables depuis la Terre. Les débris de 10 cm le sont. Mais il y a un vrai risque de ne pas pouvoir déterminer avec précision leur emplacement. Si de tels objets sont aussi dangereux, c’est en raison de leur énergie cinétique. En orbite, ils circulent à 28 000 km/h. A cette vitesse, même un objet de petite taille peut provoquer de vrais dégâts. Un boulon par exemple pourrait avoir le même impact qu’une grenade à main. Il était donc prudent de demander aux astronautes de l’ISS de se protéger dans des capsules.

Y aurait-il moyen de récupérer ces objets à la manière de ce que vous prévoyez de faire avec Vespa?

Le problème des petits débris, c’est qu’ils s’éparpillent un peu partout. Si on voulait tous les récupérer, cela exigerait énormément de combustible. Pour un nettoyage complet, ce serait sans doute beaucoup trop onéreux. Mais c’est un problème récurrent. En 2009, il y avait eu une grave collision entre le satellite militaire russe Kosmos-2251 et le satellite commercial Iridium-33. Elle avait créé énormément de débris qui sont toujours présents dans l’espace. Dans certaines orbites, on dénombre un nombre croissant de débris sans qu’il y ait pourtant de nouveaux satellites. Ce sont des problèmes de fragmentation dus à des collisions ou à des explosions. L’ESA les répertorie constamment.

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Le tir de missile augure-t-il mal de l’avenir de l’espace?

Pour ClearSpace, c’est une évidence: si on veut maintenir un environnement spatial durable, il est incontournable de récupérer et d’éliminer ces objets, surtout en orbite basse, celle qui a et aura le plus de valeur à l’avenir. Sans cela, nous serons dans l’impasse dans quelques générations.