Le facteur le plus décisif, cela dit, est cette fois l’économie. Frappée très durement par la crise, qui a fracassé le miracle du «tigre celtique» en faisant éclater la bulle bancaire et immobilière de cette dernière décennie, l’Irlande ressent plus que jamais le besoin de rester ancrée à l’Union européenne. La victoire du «oui» est donc pronostiquée par les sondages qui misent sur 48% à 68% de votes positifs, contre 17% à 33% pour le «non». Une estimation toutefois battue en brèche par la détermination des «nonistes» dont l’argument massue est de contester la légitimité démocratique de ce deuxième scrutin. «No means no» – Un Non est un non – ont martelé ces dernières semaines les opposants au Traité de Lisbonne, conduits par l’homme d’affaires eurosceptique Declan Ganley, fondateur du collectif Libertas, et le dirigeant nationaliste du Sinn Fein Gerry Adams.
L’impopularité de l’actuel gouvernement du premier ministre Brian Cowen, en passe d’annoncer un sévère budget d’austérité pour 2010, ajoute à la crispation: «L’anxiété domine. Les Irlandais sont en colère et cela peut fort bien déboucher sur un nouveau rejet du Traité» estime l’eurodéputé irlandaise Marian Harkin, élue dans l’ouest du pays largement «noniste».
La crise annoncée dans l’Union européenne en cas de victoire du «non» pourrait conduire à une redéfinition des rôles dans l’UE. L’adhésion de l’Irlande ne serait pas remise en cause, mais sa place dans le dispositif communautaire serait clairement affectée, beaucoup de dirigeants européens ne pardonnant pas aux Irlandais, grands bénéficiaires des subventions de Bruxelles, de bloquer la machine institutionnelle et d’empêcher les réformes rendues nécessaires par les élargissements de 2004 et de 2007 à douze nouveaux pays membres. Le président du Conseil italien Silvio Berlusconi a déjà publiquement appelé à un regroupement des grands pays «moteurs de l’Union» pour la faire redémarrer, si le Non l’emporte.
Le Traité de Lisbonne, comme tous les traités européens, ne peut entrer en vigueur qu’après avoir été ratifié par l’ensemble des Etats-membres. Une idée avancée pour contourner un éventuel veto Irlandais est l’intégration dans un prochain traité d’accession (pour la Croatie ou l’Islande), certains aménagements prévus par Lisbonne, comme la création d’un poste de Haut représentant aux affaires étrangères de l’UE, aux compétences étoffées.
Une victoire du Oui permettrait à Bruxelles de respirer et d’enclencher enfin son processus de réforme institutionnelle, à condition toutefois de lever un ultime obstacle: l’opposition irréductible du président tchèque Vaclav Klaus, seul habilité à ratifier le Traité pourtant approuvé par le parlement tchèque. Un groupe de sénateurs tchèques a déposé, pour retarder une nouvelle fois l’échéance, un nouveau recours devant la Cour constitutionnelle le 25 septembre.
La pression politique sur Prague, si les Irlandais acceptent Lisbonne, serait néanmoins énorme. Le président polonais eurosceptique Lech Kaczynski, qui a fait jusque-là la grève de la signature, a promis d’apposer son paraphe si l’Irlande dit «oui». L’Allemagne, qui bloquait aussi le processus pour des raisons juridiques, a ratifié pour sa part la semaine dernière. Le pire scénario serait, jugent les observateurs bruxellois, que la ratification tchèque tarde jusqu’aux élections législatives au Royaume-Uni, où les conservateurs donnés favoris ont promis d’organiser un référendum sur le Traité de Lisbonne, bien que l’actuel gouvernement l’ait déjà ratifié.
Quelques heures après l’ouverture du vote, les médias irlandais affirment tous, ce vendredi, que la participation sera un facteur clef du scrutin. L’Irish Times rappelle qu’«à peine un tiers des électeurs (34,8%) avaient voté en 2001», lors du premier référendum sur le traité de Nice, qui s’était conclu par un «non». Mais la hausse de la participation (à 48,5%) avait ensuite permis d’obtenir un «oui» lors d’un second référendum sur le même texte en 2002. Des premières estimations devraient être disponibles peu avant minuit: Les résultats officiels, eux, sont attendus samedi en fin de matinée.