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«L'URSS a pris la décision d'éliminer Jean Paul II»

Une enquête parlementaire accuse Leonid Brejnev d'être derrière l'attentat en 1981.

En forme de testament, le pape Jean Paul II avait consigné dans un livre, en janvier 2005, son intime conviction: «Je pense que l'attentat (ndlr: perpétré par Ali Agça, le 13 mai 1981) a été l'une des dernières convulsions des idéologies de la violence qui se sont déchaînées au cours du XXe siècle.» Après plusieurs années de travail, une commission parlementaire italienne chargée d'enquêter sur le rôle des services secrets soviétiques durant la Guerre froide s'apprête à rendre publiques ses conclusions. Avec une quasi-certitude: les dirigeants du Kremlin auraient bel et bien commandité l'attentat contre Jean Paul II. Et le Turc Ali Agça n'aurait été qu'un sicaire manipulé par les services secrets militaires soviétiques (GRU).

Pour le sénateur Paolo Guzzanti qui a présidé cette commission baptisée «Mitrokhine» (du nom d'un ex-agent du KGB ayant décidé de collaborer avec les Occidentaux), il s'agit plus que d'une confirmation: «Au-delà de tout doute raisonnable, c'est le sommet hiérarchique de l'URSS qui a pris l'initiative d'éliminer le pape.» Depuis son élection en 1978, Jean Paul II avait en effet défié l'empire soviétique en soutenant le syndicat polonais Solidarité. Pour bloquer les risques d'un détachement de la Pologne de l'orbite soviétique et une remise en cause du Pacte de Varsovie, Moscou aurait alors lancé l'offensive contre le pape.

La commission Mitrokhine affirme s'être, entre autres, fondée sur l'audition de nombreux experts dont celle du juge français antiterroriste Jean-Louis Bruguière. «Il nous a expliqué qu'il avait des certitudes objectives sur le fait que le GRU a reçu directement l'ordre de la part du Politburo et de Brejnev (ndlr: secrétaire général du PCUS) d'éliminer le pape», a expliqué Paolo Guzzanti. Le GRU aurait ensuite «procédé à une répartition des tâches» entre les services du bloc de l'Est: le KGB n'aurait fourni qu'une assistance «accessoire»; l'Allemagne de l'Est se serait chargée de la désinformation; et les services bulgares auraient eu pour fonction de couvrir l'opération. «Il est probable que Agça était destiné à mourir après avoir tué le saint-père mais que les développements convulsifs suite à l'échec de l'attentat ont bouleversé les plans», précisent les parlementaires.

Dès 1981, la «piste bulgare» avait été avancée par Ali Agça lui-même. Immédiatement arrêté, le terroriste d'extrême droite avait affirmé connaître trois citoyens bulgares présents à Rome au moment de l'attentat dont le chef d'escale de la compagnie Balkan Air, Sergueï Antonov. Deux procès successifs avaient néanmoins échoué à établir la culpabilité du représentant bulgare, Ali Agça s'étant, entre-temps, rétracté.

Un Bulgare aux moustaches noires sur place

Reprenant tous les clichés photographiques pris devant la basilique Saint-Pierre le 13 mai 1981, la commission Mitrokhine estime aujourd'hui détenir une preuve décisive. Après deux nouvelles expertises effectuées «avec des moyens modernes», les parlementaires soutiennent être «presque à 100%» certains que l'homme aux moustaches noires qui, parmi la foule, observe Jean Paul II blessé dans sa papamobile serait le chef d'escale. «Antonov était présent [...] Il a menti ainsi que les autorités bulgares», tranche le rapport.

Dès jeudi soir, le service russe de renseignement extérieur a qualifié de «complètement absurdes» les conclusions du rapport. Paolo Guzzanti a cependant souligné que «Vladimir Poutine a été le plus gros obstacle à la commission: il ne nous a pas ouvert les archives et même pas le placard à balais».