Ukraine
Dans la grande ville de l’ouest ukrainien, europhile, l’opposition au régime du président Viktor Ianoukovitch est une évidence. Pas d’affrontements ni de violence

A Lviv, une police plus tolérante vis-à-vis des manifestants
Ukraine Dans la grande ville de l’ouest, l’opposition au régime de Viktor Ianoukovitch est une évidence. Pas de violence
A l’intérieur de la tente militaire, ils sont une quinzaine à se réchauffer autour d’un poêle de fortune. Quelques jeunes filles préparent du bortsch, cette soupe traditionnelle ukrainienne à la betterave, deux ou trois hommes sont plantés devant une télévision grésillante, qui diffuse un documentaire sur la guerre du Vietnam. «Nous bloquons les sorties de la caserne depuis deux semaines», explique Andriy Porotko, le «commandant» de la place, «de cette façon, les soldats cantonnés à Lviv ne peuvent participer à la répression qui se déroule à Kiev».
En réalité, le blocus des manifestants n’est que symbolique, quelques sacs de neige empilés devant l’entrée des baraquements et des adolescents qui jouent à la guerre avec des casques. «Je discute tous les jours avec l’officier qui commande la place. Notre présence l’arrange bien, cela lui fait une excuse pour ne pas sortir, admet Andriy Porotko. Si l’Etat d’urgence est décrété, ce sera, bien sûr, une autre histoire.»
Profil bas du parti au pouvoir
A Lviv, on parle ukrainien, on rejette depuis toujours «l’impérialisme» venu de Moscou, et on célèbre volontiers la mémoire de Stepan Bandera, un dirigeant nationaliste ayant un temps collaboré avec le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale. Dans cette grande ville de l’ouest de l’Ukraine, Viktor Ianoukovitch n’a obtenu que 5% des voix à l’élection présidentielle de 2010. «Nous avons dissous le groupe du Parti des régions au Conseil régional le 27 janvier dernier», raconte Petro Pysarchuk, ancien député et chef de file de la formation présidentielle dans la région. L’homme s’exprime en ukrainien et reçoit dans un modeste bureau de l’immense centre commercial qu’il possède à la sortie de la ville. Il se dit personnellement favorable à l’organisation de nouvelles élections pour sortir de la crise. «Ici, les membres de notre parti sont tous d’honnêtes entrepreneurs. Ils n’ont rien à se reprocher. Mais nous recevons des menaces constantes, et nous ne sommes pas en mesure d’assurer la protection des familles de nos sympathisants. Nous avons donc décidé de faire profil bas.» A Lviv, les accès de plusieurs magasins appartenant à des membres du Parti des régions sont bloqués par des activistes.
«Personne ne risque rien ici, tempère Serhiy Kiral, chargé des investissements de la mairie. La police n’oserait pas réprimer le mouvement de contestation, car 200 000 personnes descendraient immédiatement dans les rues. Du reste, beaucoup d’officiers sont originaires de la région, et ils soutiennent en silence les manifestations de Kiev.» Le 24 janvier dernier, après les affrontements qui ont fait au moins six morts dans la capitale ukrainienne, des activistes ont investi les bâtiments de l’administration régionale. «Honnêtement, à Lviv, cette occupation n’était pas nécessaire, même si j’en comprends la portée symbolique, reconnaît Serhiy Kiral. Elle a eu au moins un mérite: elle a lancé le mouvement de protestation en province, à Dniepropetrovsk, à Zaporijia, là où la main du pouvoir est encore puissante.»
Mobilisés à Kiev
Derrière les barricades de glace installées devant l’entrée du bâtiment, quelques manifestants plaisantent à côté de braseros. Dans le hall d’entrée, un militant de Secteur droit («Praviy Sektor»), cette organisation ultranationaliste qui assure la défense d’une bonne partie des barricades de la capitale, discute avec deux fonctionnaires en uniforme. «Les policiers déployés à Kiev viennent principalement de l’est du pays, ils ne se battent que pour l’argent, explique l’homme masqué. Ici, nous n’avons pas de problème avec les forces de l’ordre.»
Selon certaines estimations, la moitié des manifestants qui campent place de l’Indépendance, dans le centre de la capitale ukrainienne, viendrait de l’ouest du pays. Tarass, 24 ans, est le «capo» des ultras du club de football du Karpaty Lviv, qui comptent un bon millier de membres. «Nous n’avons pas appelé collectivement à partir pour Kiev, mais tous ceux qui sont dans cette pièce ont passé du temps sur les barricades, explique le jeune homme en roulant ses épaules massives. J’ai été un peu surpris du soutien qu’ont apporté les ultras des clubs de l’est du pays à la révolution, mais j’en ai été très heureux.»
Dans une vidéo postée il y a quelques jours sur YouTube, un groupe masqué de supporters du Shakhtar Donetsk, propriété de Rinat Akhmetov, l’oligarque le plus puissant du pays et l’ami de toujours du président Viktor Ianoukovitch, déclare son soutien à la révolte qui enflamme Kiev. Pour les habitants de l’ouest de l’Ukraine, qui suivent en continu la «révolution» à la télévision, pour ceux qui collectent des vêtements et de l’argent pour soutenir le mouvement de la place de l’Indépendance, tous les signes de ralliement sont bons à prendre.