On ne l’avait pas vu venir. Macky Sall, 50 ans, affrontera probablement le président sortant Abdoulaye Wade lors du second tour le 18 mars. Selon les résultats provisoires du scrutin du 26 février, il obtiendrait 27% des voix contre 32% pour Wade. Fabuleux revers pour le chef d’Etat en exercice qui brigue un troisième mandat et prévoyait de «passer au premier tour». Etonnante ascension pour l’opposant qui doit toute sa carrière au patriarche président et qui s’est racheté en quelques années de placard politique une réputation d’homme libre.

Vengeance mûrie

C’est qu’il revient de loin. Rencontré quelques mois avant les élections, Macky Sall mûrissait déjà sa vengeance. Celle d’un élève, longtemps dévoué, congédié par son maître. En 1983, il a 22 ans quand il s’engage auprès d’Abdoulaye Wade. A l’époque, le choix est hasardeux. Depuis l’indépendance en 1960, le Sénégal est aux mains des socialistes. Wade est un opposant libéral, plusieurs fois incarcéré pour ses positions contre les gouvernements successifs. Sall est issu d’une famille modeste de Fatick, au centre. Il croit en une république où un enfant qui n’est pas issu du sérail peut, comme lui, devenir ingénieur et géophysicien.

En 2000, il appartient à cette jeunesse militante qui prend la rue pour qu’Abdoulaye Wade incarne ce changement. Lorsque son candidat est élu, il n’est pas intégré dans le gouvernement. Il ronge son frein à la tête de la Société des pétroles du Sénégal où ses réseaux s’élaborent. Il s’impose avec une discrétion placide qui fait de lui un incontournable de l’entourage de Wade: «Il est vrai que je suis paisible, mais je ne cède rien sur mes convictions, croyez-moi.» Nommé à la tête du Ministère des mines, il occupe successivement les postes de ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, puis de premier ministre (2004 à 2007).

Lorsqu’il se souvient de cette période, c’est avec une certaine tendresse. Même envers son mentor tourné depuis en rival. «Le premier mandat de Wade a permis de lancer des chantiers gigantesques sur le plan des infrastructures, mais aussi en matière d’éducation. Ce n’est qu’à partir de sa réélection en 2007 qu’il a commencé à s’isoler et à lancer des projets qui étaient totalement déconnectés des préoccupations populaires, comme le Festival des arts nègres ou la statue de 50 mètres qu’il a fait ériger à Dakar.» Avec le deuxième mandat de Wade, Macky Sall est déplacé à la présidence de l’Assemblée nationale. Alors qu’il ne s’était jusqu’ici fait remarquer que par son extrême docilité, il commet l’irréparable.

«J’ai demandé que Karim Wade, le fils du président, soit auditionné dans le cadre de sa mission pour l’Organisation de la conférence islamique. Nous voulions vérifier ses comptes. Cela a été perçu par la présidence comme un crime de lèse-majesté. J’ai senti sur moi souffler le vent de la colère. Ils ont voulu me détruire politiquement. Je ne compte pas non plus toutes les menaces de mort. Tout cela était destiné à me faire taire. Cela a provoqué en moi l’effet inverse.» Répudié d’un cercle du pouvoir qui, depuis quelques années, a tendance à se rétrécir considérablement, Sall prend le maquis. Il démissionne du PDS, le parti de Wade. Et travaille, dans l’ombre, à sa renaissance personnelle.

Il vit aujourd’hui dans une luxueuse maison de la banlieue de Dakar. Devant la porte, plusieurs Mercedes récentes sont époussetées par des gardiens qui surveillent le thé. Selon un de ses proches, Macky Sall est depuis longtemps soutenu par des hommes d’affaires sénégalais mais aussi par des pays voisins qui verraient bien un autre visage que celui de Wade au palais présidentiel. L’ancien premier ministre et candidat à l’élection Idrissa Seck l’a aussi accusé de détournement de fonds publics, pour un montant de 10 millions d’euros. Des soupçons qu’il écarte d’une moue de mépris: «Quand j’étais au gouvernement, je n’ai jamais vu la corruption à l’œuvre. Au contraire, nous avons fait preuve d’une transparence exemplaire.» Le candidat concède malgré tout que la propension d’Abdoulaye Wade à ouvrir d’immenses chantiers a permis à certains décisionnaires de s’enrichir personnellement.

Déterminé

Le chaos qui a précédé les élections a finalement bénéficié à Macky Sall. Tandis que la plupart des candidats d’opposition tergiversaient entre le boycott des élections et la campagne, lui n’a jamais douté. Il a traversé le pays. A promis une réforme de la justice, un rééquilibrage des pouvoirs, une révolution agraire et le retour des investissements privés. Membre très distant de la plateforme d’opposition M23, Sall a construit patiemment son chemin vers le pouvoir. Peu à peu, certains candidats mineurs le rejoignent. Il espère aujourd’hui récolter les fruits du «Tout sauf Wade».