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Mahmoud Ahmadinejad, le président maladroit

Pour certains analystes, l'appel du président à «rayer Israël de la carte» était surtout destiné à son opinion intérieure.

Il aura fallu attendre jusqu'à samedi pour voir le ministre iranien des Affaires étrangères relativiser les propos foudroyants de Mahmoud Ahmadinejad tenus à l'égard d'Israël. «L'Iran n'a pas l'intention d'attaquer Israël», déclarait-il par voie de communiqué, au lendemain d'un nouvel appel du président iranien à «rayer Israël de la carte». Son message est clair: tenter d'apaiser les diplomaties occidentales, qui n'ont cessé, depuis, de condamner ses propos.

De Tel-Aviv à Paris, en passant par le siège des Nations unies à New York, les déclarations du nouveau président iranien ont provoqué une onde de choc, largement reprise par la presse internationale. Dans de nombreuses capitales, les ambassadeurs d'Iran ont été également convoqués pour expliquer les propos d'Ahmadinejad. Car, si la négation de l'Etat d'Israël fait partie des dogmes de la République islamique d'Iran, instaurée en 1979, c'est la première fois depuis des années qu'un haut responsable iranien tient des propos aussi menaçants à l'égard d'Israël.

Pour les observateurs de la scène iranienne, il est pourtant nécessaire de replacer le discours du chef de l'Etat dans son contexte afin de relativiser la menace iranienne. William Beeman, spécialiste du Moyen-Orient à la Brown University, y voit avant tout un signe de maladresse diplomatique de la part de Mahmoud Ahmadinejad, qui a trop vite effrayé les étrangers. «En termes de relations internationales, ses propos relèvent d'une certaine naïveté et d'un manque de sagesse», note-t-il.

Il faut dire que son prédécesseur, le réformateur Mohammad Khatami, avait habitué ses interlocuteurs étrangers à plus de modération au cours de ses huit années de mandat. C'est lui, notamment, qui avait lancé l'idée du «dialogue entre les civilisations» tout en menant une politique de rapprochement avec l'Occident. A l'inverse d'Ahmadinejad, Khatami avait beaucoup voyagé à l'étranger - il avait même vécu en Allemagne - avant de devenir président.

Elu en juin dernier avec près de 62% des suffrages, sur la base de slogans populistes et de formules révolutionnaires, Ahmadinejad manque cruellement d'expérience en matière de relations internationales. «C'est une de ses grosses lacunes», confiait, au lendemain de sa victoire, le professeur Nasser Hadian, ami de longue date du président iranien. Ancien membre des Gardiens de la révolution, défenseur acharné des valeurs de la République islamique, Ahmadinejad a occupé des postes de gouverneur de province, puis s'est retrouvé à la tête de la mairie de Téhéran, avant d'être élu à la tête de l'Etat. Il a visité quelques pays d'Asie et s'est rendu à Moscou. Il n'a jamais vu l'Europe et a découvert pour la première fois les Etats-Unis l'été dernier, à l'occasion d'une visite au siège de l'ONU.

Il est bien évident qu'Ahmadinejad a profité de sa tribune pour régler ses comptes avec les Américains, à qui la République islamique reproche leur soutien acharné à Israël et leur entêtement à la faire renoncer à son programme nucléaire. Tout au long de son discours, il n'a cessé d'insister sur le conflit qui oppose «le monde islamique à l'oppression mondiale» - terme généralement utilisé pour désigner l'Occident et en particulier les Etats-Unis.

Mais d'après Mohammad Ali Abtahi, ancien conseiller du président Khatami, «le rôle d'un président ne devrait pas être de créer une crise internationale sans raison». En fait, dit-il, les paroles d'Ahmadinejad étaient, avant tout, «destinée à une consommation domestique». C'est dans un discours prononcé à l'occasion d'une conférence intitulée «Le monde sans le sionisme», devant de nombreux étudiants, qu'Ahmadinejad s'est d'abord «lâché» verbalement. D'après un sociologue qui préfère garder l'anonymat, le président visait simplement à mobiliser sa base, celle des miliciens islamistes et des déshérités, «en puisant dans la rhétorique révolutionnaire et en mettant tous les maux du monde sur le dos de l'ennemi pour éviter d'avoir à s'expliquer sur la non-réalisation de ses promesses de campagne, notamment la lutte contre la pauvreté».

Face à l'indignation générale provoquée par le discours du président iranien, William Beeman tient, pour sa part, à rappeler qu'Ahmadinejad n'a rien inventé. «Il ne faisait, note-t-il, que citer une formule bien connue de l'ayatollah Khomeiny», père de la révolution islamique iranienne. Pour Williams Beeman, avant de paniquer, «les Américains, les Israéliens et les Européens devraient prendre une grande respiration et analyser à la fois la déclaration en elle-même et la situation actuelle dans laquelle se trouve Ahmadinejad».