On aurait annoncé, il y a quelques mois encore, à n’importe quel Haïtien que Michel Martelly serait le prochain président d’Haïti, votre interlocuteur aurait tourné son index sur la tempe. Candidat surprise à cette présidentielle de l’après-séisme, celui qui vient d’être élu avec plus de 67% des voix était jusqu’ici surtout connu pour dévoiler son postérieur dans les carnavals du pays, danser en jupe au milieu des soirées mondaines et animer avec truculence les cabarets de Port-au-Prince. Il était président du compas, cette musique binaire où l’âme caraïbe se joue. Il est désormais à la tête d’un Etat qui devra gérer 10 milliards de dollars d’aide internationale à la reconstruction.
A aucun moment de cette campagne agitée, il n’a semblé submergé par la perspective de s’asseoir dans un palais cassé devant un peuple parmi les plus pauvres du monde. Il y a quelques semaines, lors du dernier débat télévisé face à sa concurrente Mirlande Manigat, il désaxait ses hanches sur des rythmes imaginaires, faisait de bonnes blagues que seul le créole recèle. Il savait déjà que le vent soufflait pour lui. Après un premier tour électoral miné par ses troupes qui avaient pris la rue pour exiger le retrait du candidat du pouvoir Jude Célestin, Michel Martelly, 50 ans, estimait déjà que la victoire ne pourrait lui échapper. Il avait menacé que ses admirateurs saccageraient le pays si leur vote était encore volé.
Mi-amuseur, mi-stratège, Michel Martelly est surtout un objet électoral non dentifié comme la scène politique haïtienne en génère régulièrement. Au moment où deux chefs autoritaires ont fait sans encombre majeur leur retour au pays (Jean-Claude Duvalier et Jean-Bertrand Aristide), le président élu incarne à sa manière hilare le carrefour de ces dernières décennies haïtiennes. A Duvalier, il a pris l’essentiel de son conseil politique, notamment Daniel Supplice, ancien ministre sous Baby Doc. Adolescent inscrit aux milices des Tontons Macoute, soutien discret du coup d’Etat contre Aristide en 1991, Michel Martelly pourrait relancer la machine de la droite dure sur l’île.
Mais l’essentiel de son électorat provient en réalité de l’autre bord. Son parler vrai, son discours constant contre les élites politiques lui ont rallié les jeunesses des quartiers pauvres de Cité Soleil ou du Bel Air. Aux premiers rangs de chacun de ses meetings apparaissaient des groupes plus ou moins constitués, parfois rémunérés, d’activistes liés aux anciens gangs aristidiens. Certains d’entre eux ne cachaient pas sur leur poitrine le portrait de Jean-Bertrand Aristide: «Tant que le parti Lavalas ou qu’Aristide ne peuvent se présenter, nous voterons pour Martelly. C’est le candidat du peuple.» Entre la droite et la gauche populiste, Michel Martelly n’a pas choisi. Il a promis à tous l’école publique gratuite, la souveraineté alimentaire et un toit pour le million de sans-abri du séisme.
Attente du peuple
Difficile de comprendre comment Michel Martelly, dont la femme parle anglais avec son entourage, qui possède une maison en Floride et bénéficie du conseil de directeurs de campagne américains, a réussi à prendre une telle place dans ces élections si cruciales pour l’avenir du pays. Il a suppléé la candidature déboutée de la star du hip-hop Wyclef Jean qui, lui aussi, se positionnait en héros anti-système et en avatar du rêve états-unien. Il doit aujourd’hui être à la hauteur d’une mission sans précédent pour un président haïtien: gérer un afflux massif d’argent pour rebâtir Port-au-Prince mais aussi entamer une décentralisation longuement attendue.
Pour l’heure, beaucoup de Haïtiens y croient. Ils continuent de l’appeler Sweet Micky, son sobriquet de troubadour. Mais le peuple n’attendra pas indéfiniment les résultats; ils connaissent la chanson.