La scène se déroule mardi 24 janvier dans un luxueux hôtel en lisière de la forêt tropicale, quelque part sur la côte de sable blond du golfe de Guinée, non loin de la grande ville de Bata. Improbable décor pour un geste symbolique et grandiose. Voici le play-boy Teodorin Obiang, fils et successeur putatif de son père, le tyran Teodoro Obiang Nguema, doyen des chefs d’Etat africains – au pouvoir depuis 1979, quand il fit assassiner le satrape précédent, qui n’était autre que son oncle. Teodorin, donc, sanglé dans un impeccable costume noir, ôte ses lunettes de soleil. Il porte avec cérémonie la main à sa mallette, en extrait de grosses brassées de billets, des liasses neuves de CFA par millions: 500 millions à toute l’équipe de Guinée équatoriale pour la victoire contre la Libye en match d’ouverture du tournoi, plus 10 millions (15 000 euros) en cash à chacun des deux buteurs. «Je vous promets, lance-t-il aux joueurs guillerets, que les primes vont continuer pour les prochains matches. On parle toujours de la Guinée équatoriale de manière négative, mais nous pouvons aussi remporter des victoires.»

De fait, la Nzalang, la sélection nationale, dispute pour la toute première fois la plus prestigieuse compétition sportive africaine. Elle vient de se qualifier pour les quarts de finale, un «exploit» sportif rendu possible autant par les généreuses enveloppes du pouvoir que par une conception très flexible du code de la nationalité: il y a quelques mois seulement, la grande majorité des joueurs équato-guinéens étaient encore Ivoiriens ou Brésiliens!

La Guinée équatoriale est ce qui se rapproche le plus, en Afrique, d’une pétromonarchie du Golfe. Etat minuscule en deux morceaux (la capitale Malabo trône sur la petite île de Bioko; le reste du territoire, sur le continent, est «coincé» entre le Gabon et le Cameroun), ce pays, une ancienne colonie espagnole misérable, était parfaitement méconnu il y a encore une décennie. Et puis le pétrole est arrivé. Des centaines de millions de barils de réserves offshore, dont 300 000 sont désormais pompés chaque jour par des compagnies américaines. Troisième producteur de brut d’Afrique subsaharienne derrière l’Angola et le Nigeria, le pays a vu son PIB passer de 590 dollars par tête en 1998 à 18 200 dollars en 2010. Cette année-là, 7 milliards de dollars sont entrés dans les caisses de l’Etat.

Le problème, c’est que personne ne les a vus ressortir. En tout cas pas les 616 000 Equato-Guinéens, qui peuvent témoigner d’une chose: on ne devrait jamais diviser le PIB par le nombre d’habitants. Car à Malabo, on ne divise que par un. «Tout l’argent reste dans les mains du clan au pouvoir. L’écrasante majorité des gens vivent, ou plutôt survivent, sans accès à l’eau courante, à l’électricité, à une éducation décente et à des soins de santé abordables», dit Tutu Alicante, le directeur de EG Justice, une ONG basée à Washington, qui milite pour les droits humains et la transparence dans le pays. De son côté, Human Rights Watch relève que l’or noir, loin d’offrir de meilleures conditions de vie à la population, a surtout permis au régime de muscler la répression. Opposants embastillés, torturés, disparitions et «accidents» suspects sont le lot quotidien de ceux – ils sont rares – qui osent mettre en doute les méthodes de la famille régnante.

De son exil américain, Tutu Alicante tient sur son site internet (www.egjustice.org) la chronique des dispendieuses dépenses récentes en équipements collectifs. Enfin, l’épithète n’est pas très bien choisie. Dix palais présidentiels sont en construction dans les dix plus grandes villes du pays. Il y a quelques mois, le régime a inauguré Sipopo, un luxueux centre de villégiature de 830 millions de dollars, comprenant une plage artificielle privée, 52 villas en bord de mer, un terrain de golf, un centre thermal et un héliport. On met aussi la dernière main à un hôtel présidentiel de 77 millions de dollars qui hébergera un théâtre, un centre de fitness et un casino, dans la ville natale du président. Enfin, la liste ne serait pas complète sans les projets d’une nouvelle capitale en pleine forêt vierge, comprenant un opéra et un circuit de Formule 1.

Cette boulimie de béton ne suffit pourtant pas à épuiser la manne. Une partie a été retrouvée ces dernières années auprès d’une banque privée américaine, la banque Riggs, à Washington. Et 6 milliards de dollars se sont «évaporés» du pays depuis dix ans. Immobilier en France, en Espagne et aux Etats-Unis, placements suspects un peu partout: le président Obiang ou des membres de sa famille font l’objet d’enquêtes portant sur des affaires de corruption et de blanchiment d’argent. Le gouvernement américain a déposé des documents auprès d’un tribunal afin de saisir plus de 70 millions de dollars appartenant à Teodorin, et l’enquête parisienne sur les «biens mal acquis», qui concerne aussi le Gabon et le Congo-Brazzaville, comporte un volet équato-guinéen.