La Malaisie a jusque-là échappé au terrorisme. Mais elle s’inquiète du soutien croissant de l’organisation Etat islamique (EI) dans une frange de l’opinion ultra-conservatrice de ce pays de 30 millions d’habitants dont plus de la moitié sont des musulmans.

Les chiffres du nombre de jeunes partis en Syrie et en Irak restent encore faibles, mais sont en hausse: en dépit de la réputation de pays musulman «modéré» dont jouit la Fédération de Malaisie, le nombre d’individus arrêtés pour des liens avec l’EI a progressé. Depuis 2014, environ 120 personnes soupçonnées de collusion avec l’EI ont été appréhendées. Ce n’était pas seulement de jeunes extrémistes: il y avait parmi eux des fonctionnaires et des policiers.

Un récent sondage du Pew Research Center, dont les résultats ont été publiés fin novembre, vient de susciter une avalanche de commentaires en Malaisie, surtout après les attentats du 13 novembre à Paris: 12% des musulmans malaisiens interrogés disent avoir une opinion favorable de l’EI tandis que 25% d’entre eux affirment ne pas avoir d’opinion sur la question.

Même si ce sondage montre que 67% des musulmans condamnent l’EI, beaucoup de commentateurs ont jugé inquiétant ce pourcentage de partisans de l’internationale du terrorisme. Surtout quand on le compare avec les chiffres de l’Indonésie voisine, le plus grand pays musulman du monde, où seulement 4% des sondés jugent positivement l’organisation du «calife» Abou Bakr al-Baghdadi…

L’Etat malaisien, pays censément démocratique mais sujet à une dérive autoritaire croissante, a pris des mesures radicales pour faire face à la menace que font possiblement peser sur le pays d’anciens extrémistes entraînés en Irak ou en Syrie. «Je pense que ce qui vient de se passer à Paris peut se passer ici aussi, en Asie du Sud-Est», a récemment prévenu le vice-ministre de l’Intérieur, Nur Jazlan Mohamed.

Réponse archi-sécuritaire

Le 29 septembre, la Malaisie a rejoint, en compagnie du Nigeria et de la Tunisie, la coalition des 65 pays associés à la lutte contre l’EI sous l’égide des Etats-Unis. Différents incidents ont provoqué un raidissement des autorités: le 25 du même mois, la police avait arrêté à Kuala Lumpur trois personnes, un Malaisien, un Syrien et un Indonésien, soupçonnés d’être en train de préparer un attentat en plein centre-ville, dans le quartier d’Alor Street, un lieu très fréquenté par les touristes. Dans un article du chercheur Julien Gradot publié par le site Malaysiakini, de hauts responsables du contre-terrorisme malaisien redoutent qu’un attentat dans leur pays ne soit «plus qu’une question de temps».

A Singapour, le micro-Etat situé au sud de la Malaisie péninsulaire, le premier ministre, Lee Hsien Loong, vient de s’inquiéter du fait que la zone puisse devenir un «centre de recrutement clé» du terrorisme… Dans un passé récent, la région a fait les frais du terrorisme, comme l’Indonésie, durement touchée par de sanglants attentats à Bali (2002) et Djakarta (2003 et 2009).

Pendant ce temps, le gouvernement du premier ministre malaisien, Najib Razak, dont le parti, l’Organisation nationale de l’unité malaise (UMNO), dirige le pays sans interruption depuis l’indépendance, a choisi une réponse archi-sécuritaire: après avoir voté récemment des lois destinées à museler critiques et opposants du gouvernement, les députés de l’UMNO ont approuvé, le 3  décembre, une nouvelle législation particulièrement sévère: elle va permettre à un conseil présidé par le premier ministre de déclarer l’état d’urgence, d’arrêter des suspects sans mandat et de restreindre les droits constitutionnels des citoyens, le tout sans intervention de la justice.

Najib Razak, par ailleurs sous le coup de graves accusations de corruption, justifie de telles dispositions par la lutte contre le terrorisme – lutte qui avait déjà été renforcée récemment par une «loi de prévention du terrorisme» que le parlement avait fait voter en avril.

«Les autorités malaisiennes ont décidé de durement réprimer les sympathisants et les partisans de l’EI, observe Kadir Deen, un ancien ambassadeur en retraite. Mais je doute que ces mesures, en tant que telles nécessaires, puissent décourager les gens qui se sentent proches de cette idéologie religieuse extrémiste.»

Certains experts font remarquer que le jeu politique de l’UMNO, qui a laissé se développer un discours ultra-fondamentaliste dans les tribunaux islamiques et certaines agences gouvernementales, sans parler de son récent rapprochement avec un parti islamiste, fait le lit de l’extrémisme: «Le nombre de partisans de l’EI va augmenter», redoute Patricia Martinez, une chercheuse catholique malaisienne spécialiste de l’islam. «C’est une conséquence de l’extrémisme professé par certaines autorités religieuses d’Etat, la promulgation de fatwas, la dérive vers un islam de plus en plus autoritaire.»