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Malgré ses démentis, Dominique de Villepin reste dans le collimateur des juges

La presse ne croit pas le premier ministre. Et Nicolas Sarkozy veut que la vérité éclate pour être blanchi.

Dans la tourmente, Dominique de Villepin tente de faire bonne figure. On l'a vu samedi recevoir des ecclésiastiques pour parler d'immigration. Le premier ministre français aurait exclu de démissionner. Mais il pourrait être entendu très vite par les juges qui enquêtent sur les lettres anonymes accusant Nicolas Sarkozy et d'autres politiciens de posséder des comptes ouverts à l'étranger par la société luxembourgeoise Clearstream. Une affaire ponctuée de nombreuses zones d'ombre. Retour sur des questions clefs.

Que cherchait vraiment Dominique de Villepin?

L'affaire Clearstream démarre le 3 mai 2004, lorsqu'une lettre anonyme est adressée au juge parisien Renaud van Ruymbeke. Elle accuse les dirigeants de la société française Thomson CSF d'avoir perçu, via Clearstream, des commissions occultes provenant de la vente de frégates françaises à Taïwan, au début des années 1990. Le «corbeau» envoie ensuite une liste de comptes soi-disant ouverts par des politiciens français chez Clearstream. Après avoir demandé des informations à l'étranger, notamment en Suisse, le juge van Ruymbeke conclut que tout est faux.

Or vendredi, Dominique de Villepin a admis qu'il connaissait les accusations du «corbeau» avant qu'elles ne parviennent à la justice. Le 9 janvier 2004, alors qu'il était ministre des Affaires étrangères, il avait même chargé un haut responsable des services de renseignements français, le général Philippe Rondot, de «vérifier la crédibilité des rumeurs relatives à l'existence de réseaux mafieux internationaux et d'intermédiaires pouvant nuire à notre sécurité nationale».

Cet aveu est bizarre. Des centaines de millions de dollars de pots-de-vin pour les frégates de Taïwan ont été bloqués dans des banques à Zurich en 2001. Or depuis cette date, le gouvernement français retarde la progression de l'enquête à ce sujet, notamment en classant «secret-défense» les informations relatives au dossier. On comprend mal l'empressement de Dominique de Villepin à vouloir faire la lumière sur cette affaire trois ans après, qui plus est en se basant sur des informations peu crédibles, à savoir l'implication de la société Clearstream dans le blanchiment de l'argent des frégates.

Quel rôle a joué Jean-Louis Gergorin?

Dominique de Villepin a notamment expliqué que Jean-Louis Gergorin assistait à son entretien du 9 janvier 2004 avec le général Rondot. Que faisait-il là? Jean-Louis Gergorin est un ancien haut fonctionnaire, vice-président de la société aéronautique EADS. Il connaît Dominique de Villepin depuis les années 1970. Il a aussi embauché chez EADS un informaticien qui s'était procuré, en 2003, des listes de comptes provenant de Clearstream.

Si l'on en croit le témoignage du général Rondot, cette liste est réapparue dans la poche de Jean-Louis Gergorin fin 2003, agrémentée de noms de politiciens français. L'intéressé dément avoir joué le moindre rôle dans l'affaire. Mais selon un connaisseur de l'industrie de défense, il est rompu aux coups tordus de ce milieu. Or il cherchait à l'époque par tous les moyens à s'opposer à deux autres poids lourds de l'industrie française de l'armement: Noël Forgeard et Alain Gomez: «Lors de la guerre de succession qui a opposé Gergorin à ses rivaux au sein d'EADS, tous les moyens ont été utilisés, y compris des call-girls destinées à piéger l'adversaire.»

Qu'a fait exactement le général Rondot?

Ce week-end, Philippe Rondot, 69 ans, l'un des as du renseignement français, a démenti avoir jamais reçu l'ordre direct d'enquêter sur Nicolas Sarkozy. Mais il n'a pas contesté avoir écrit, après l'entrevue du 9 janvier 2004 avec Dominique de Villepin: «Enjeu politique: N. Sarkozy. Fixation sur N. Sarkozy (réf. conflit J. Chirac/N. Sarkozy).»

Pourquoi un as du renseignement comme le général Rondot, connu pour avoir organisé la capture du terroriste Carlos en 1995 au Soudan, a-t-il conservé chez lui une note aussi compromettante? Pourquoi ne l'a-t-il pas détruite avant qu'elle soit retrouvée lors d'une perquisition à son domicile? Il semble peu probable que le général, réputé très organisé et méticuleux, ait agi par négligence.

Qui a informé «Le Point»?

Le 8 juillet 2004, l'hebdomadaire Le Point fait sa couverture sur les lettres du corbeau parvenues à la justice. Comment a-t-il su? «Sources judiciaires», indique-t-on au sein du magazine. Mais les journalistes du Point savent aussi que leur rédacteur en chef, Franz-Olivier Giesbert, était alors un intime de Dominique de Villepin. Un bruit fait même état d'un coup de fil que ce dernier aurait donné pour que le magazine fasse sa une sur l'affaire.

Depuis cet épisode, ses relations avec Dominique de Villepin se sont spectaculairement dégradées: dans son livre récent, La Tragédie du président, Franz-Olivier Giesbert affirme que l'actuel premier ministre aurait alerté la presse au sujet des accusations du corbeau en répétant partout «Sarkozy, c'est fini.»