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Malgré sa manne pétrolière, l'Irak peine à se reconstruire

Lundi, les Américains ont cédé aux forces irakiennes le contrôle de la province symbolique d'Al-Anbar. Si l'étape est jugée positive, le pays reste miné par les divisions.

L'Irak est-il en train de sortir du long tunnel dans lequel il est plongé depuis mars 2003? Lundi, les forces irakiennes ont pris le contrôle de la très symbolique province d'Al-Anbar. Habitée en grande majorité de sunnites, cette région a été en pointe dans l'insurrection contre l'armée américaine. Elle fut aussi le terreau sur lequel a prospéré Al-Qaida. Hier, le président George Bush s'est félicité de ce transfert de compétences: «Al-Anbar n'est plus livrée à Al-Qaida. C'est Al-Qaida qui a perdu Al-Anbar.» A terme, les Etats-Unis pourraient se retirer d'Irak en 2011.

Pour Mohammad-Reza Djalili, professeur à l'Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, «c'est une étape de plus vers une irakisation des forces de sécurité qui s'inscrit dans la stratégie du général américain Petraeus. Cela ne signifie pas encore que c'est la fin du conflit.» Bagdad émet d'autres signaux que certains considèrent comme positifs. Selon la Cour des comptes américaine, l'Irak disposerait d'un excédent budgétaire de 79 milliards de dollars, grâce notamment à la manne pétrolière. Ces chiffres, publiés début août, ont provoqué une vive polémique auprès de membres du Congrès qui se demandent pourquoi l'Irak n'a consacré que 1% de ses dépenses à la reconstruction, alors que les Etats-Unis y ont consacré 42 milliards de dollars depuis 2003.

Invité à Genève par la Fondation Gipri qui consacrait un séminaire à «Quel Irak demain?», Pierre-Jean Luizard* est moins optimiste. Directeur de recherche au CNRS, il était en Irak il y a peu. Il n'est pas étonné que le gouvernement central n'ait pas recouru davantage à cette manne pour reconstruire: «Le gouvernement irakien est une coalition d'intérêts et est constitué de fiefs. Jusqu'à peu, les ministères avaient leur propre milice. Et chacun d'eux doit rendre des comptes au plan local en fonction de l'appartenance politique du ministre. Le pétrole, domaine de compétence d'un ministre chiite, a divisé davantage encore la classe politique. Il a servi à financer les partis politiques et les milices. Son trafic a par ailleurs explosé.» Quant à l'aide américaine pour l'Irak, le chercheur pense qu'ils ont été versés à fonds perdus. Selon Pierre-Jean Luizard, les Américains ont acheté la paix. Pour être efficaces, ils auraient eu besoin d'un interlocuteur solide. Ils en ont eu des centaines. Plusieurs protagonistes du conflit ont reçu à tour de rôle de l'argent américain, sans cohérence. Résultat: les attentes de chacun d'eux n'ont cessé d'augmenter. «L'accalmie actuelle risque d'être provisoire. Car si les Etats-Unis arrêtent de financer certains groupes, ceux-ci peuvent rouvrir les hostilités quand ils le veulent», relève l'expert.

«Illusion d'un Etat»

En matière de reconstruction, Pierre-Jean Luizard dresse un bilan peu reluisant. L'aéroport, mais aussi la route qui conduit dans la zone verte de Bagdad sont sécurisés. «Mais c'est l'illusion d'un Etat. Certes, au centre de Bagdad, des rues et des ponts ont été reconstruits, mais c'est un faux-semblant. C'est là que le gouvernement a investi en priorité», précise le directeur de recherche.

Les services publics, en revanche, n'ont pas été rétablis, ni à Bagdad ni à Bassorah. Dans la capitale, les ordures n'ont plus été ramassées depuis des années et la pollution fait des ravages. A Sadr City, qui offrait une vision «apocalyptique» après le début de l'intervention américaine, les égouts sont encore à ciel ouvert. Les 2 millions d'habitants portent des stigmates de malnutrition. Le secteur de la santé est préoccupant. «Il n'y a eu aucun progrès. De nombreux hôpitaux sont encore sous la coupe des partis chiites. De nombreux sunnites préfèrent se laisser mourir chez eux plutôt que de courir le danger de se rendre dans un hôpital. En un mot, on meurt plus aujourd'hui qu'à l'époque de l'embargo. Cela explique la forte émigration sunnite et chrétienne», analyse Pierre-Jean Luizard.

Le monde académique et scolaire, sinistré depuis 2003, offre néanmoins une lueur d'espoir. Tant à l'université qu'à l'école, les cours ont repris, surtout dans les zones dépendant d'un seul ministre. Pierre-Jean Luizard ne voit néanmoins pas une issue à la crise dans la solution fédéraliste: «C'est une belle idée. Mais une majorité d'Arabes, même chiites, y sont hostiles, car elle serait imposée par la force et risquerait de pérenniser les affrontements.»

* Laïcités autoritaires en terres d'islam, Fayard, 2008.