Pour tenter d'arrêter le massacre, l'Union européenne reprend début septembre une opération de son programme Frontex (surveillance des frontières extérieures de l'Union) en Méditerranée centrale. Un second essai (après un premier en 2006) baptisé NautilusII n'avait duré que trois semaines au début de l'été, faute de combattants. Les Etats qui avaient promis des hélicoptères ou des bateaux se sont pour la plupart désistés, et NautilusII n'avait guère plus d'ampleur que les moyens maltais, deux Cessna et une petite flottille. «Pourtant, dit Joe Azzopardi au Ministère de la justice à La Vallette, le flux des clandestins s'est tari pendant ces quelques semaines. Nous ne savons pas pourquoi. La simple annonce de l'opération a peut-être eu un effet dissuasif...»
Cette - piètre - mobilisation européenne avait été déclenchée par le scandale des cages à thon. En juin, un navire italien avait recueilli 27 Africains qui survivaient depuis trois jours accrochés à la partie émergée de structures métalliques servant à l'élevage des thons. Le capitaine du chalutier maltais, le Budafel, auquel étaient arrimées les cages, avait refusé de laisser monter à son bord les clandestins: il craignait qu'ils ne s'emparent de son bateau. Et la marine maltaise n'était pas intervenue sous prétexte que l'incident avait lieu dans les eaux territoriales libyennes, et plus près de Lampedusa que de La Vallette.
Le scandale était d'autant plus énorme qu'au même moment les Maltais refusaient d'accueillir 26 autres rescapés recueillis par un bateau espagnol. Joe Azzopardi n'en démord pourtant pas: «Nous n'avons pas d'obligations hors de notre zone. Et dans le cas du Budafel, il n'y avait pas situation de détresse!» Manière de dire que ce qui est bon pour les thons est bon pour les hommes...
L'Union européenne s'est fâchée très fort contre son nouveau membre (depuis 2004): Malte violait son obligation de sauver des vies. La Vallette a répliqué que la tragédie était un échec européen: depuis longtemps, l'île appelait en vain à l'aide.
Pourquoi Malte? Le plus petit Etat de l'Union est bien sûr sur la route des filières clandestines qui exportent et exploitent les migrants de la Corne de l'Afrique vers l'Europe en passant par la Libye. Mais surtout, l'archipel a hérité de la colonisation britannique d'immenses eaux territoriales: Malte est grand comme Londres, la zone dans laquelle il a une obligation de recherche et de sauvetage (Search and Rescue, SAR) est plus vaste que la Grande-Bretagne. Pourquoi s'encombrer d'un tel fardeau? Parce que la SAR est très profitable: Malte prélève dans cette zone des taxes de transit qui rapportent gros à cet Etat densément peuplé mais qui ne compte que 400000 habitants.
Le but des migrants illégaux, à vrai dire, n'est pas Malte, mais le continent. Les Maltais le savent bien. Avant l'adhésion à l'UE, ils ne se mêlaient pas trop des affaires des trafiquants et de leurs réseaux. Ils laissaient passer. Depuis 2004, l'Union a d'autres exigences. L'accord de Dublin sur l'asile impose aux pays d'arrivée de traiter les dossiers, et de ne pas laisser filer les candidats vers des Etats voisins.
Alors La Vallette a serré la vis. Les migrants illégaux vont en prison. L'asile est rarement accordé, les permis humanitaires provisoires plus largement. Les conditions de détention étaient si dures que la Commission pour la prévention de la torture a envoyé une mission à Malte et a demandé des aménagements. Les enfermés ont reçu l'autre jour la visite de l'archevêque Pau Cremona. Il les a invités à prier.