L'espoir qui s'était emballé depuis le début de la semaine dernière quant à une libération, samedi, des 28 otages détenus par le groupe terroriste Abu Sayyaf sur l'île de Jolo (au sud de l'archipel philippin) avait fait oublier un principe de base de la prise d'otages: les ravisseurs veulent toujours protéger leur fuite pour pouvoir profiter en toute quiétude de leur butin après avoir relâché leurs captifs. C'est l'absence de garantie de sécurité qui a fait capoter samedi la libération des 12 otages occidentaux (neuf touristes et trois journalistes de France 2) et des 16 Philippins. Pire, le processus de négociations s'est totalement effondré dans la foulée de l'énorme déception causée par l'échec de l'élargissement des otages. La Libye, qui avait arrangé la libération en offrant 25 millions de dollars sous forme d'aide au développement, menace de se retirer des négociations, «sauf développement positif dans les quarante-huit heures».

Le fiasco est une humiliation personnelle pour le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi qui avait fait venir des diplomates et les familles des otages à Tripoli afin de retirer un bénéfice maximum de l'opération en termes d'image. Les Libyens accusent le président philippin, Joseph Estrada, d'avoir cédé à des pressions extérieures en exigeant soudainement la libération de tous les otages. Selon Tripoli, l'accord négocié ne devait comprendre que certains otages occidentaux. Les trois journalistes de France 2, qui seraient détenus par un groupe autonome échappant au contrôle d'Abu Sayyaf, devaient notamment en être exclus.

A Jolo, le négociateur libyen Rajab Azzarouk a aussi demandé au président Estrada de revenir sur sa politique du «tout ou rien». «Je pense qu'il sera difficile de les faire libérer tous ensemble. Nous devons réévaluer la situation et voir si nous sommes satisfaits de les faire libérer par groupes», a déclaré dimanche l'ancien diplomate. Mais le président Estrada, qui souhaite mettre un terme rapide à la crise qui dure depuis quatre mois, maintient son exigence d'une libération totale.

Garantie de pouvoir fuir

Les ravisseurs, de leur côté, ont fait parvenir dimanche une lettre aux négociateurs indiquant qu'il n'y aura plus de négociations «tant que nous n'avons pas l'assurance que le gouvernement philippin cesse toute tentative d'opérations militaires». Les cinq commandants qui dirigent cette bande de quelques centaines d'adolescents en armes retranchés dans les montagnes du centre de Jolo disent savoir que l'armée planifie une offensive aussitôt les otages relâchés. Des déclarations maladroites du président Estrada ces derniers jours, affirmant par l'intermédiaire de son porte-parole qu'il «punirait Abu Sayyaf dès que la crise sera terminée», ont sans doute renforcé les inquiétudes des terroristes. «Nous allons leur mener la vie dure», a notamment promis le porte-parole du chef de l'Etat.

Ayant déjà reçu environ 6 millions de dollars pour les otages libérés précédemment (dix Malais et deux Allemands), l'appât du gain est devenu marginal pour le groupe Abu Sayyaf, par rapport aux questions de sécurité. Comme tous les bandits professionnels, le commandant «Robot» et ses acolytes veulent se couvrir. Certains officiels ont ainsi affirmé qu'ils avaient par exemple demandé l'asile à Tripoli. Mais la mansuétude du colonel Kadhafi a aussi ses limites. «Aucun pays ne veut d'eux. Les gens d'Abu Sayyaf sont des terroristes. Qui veut être catalogué comme hébergeant des terroristes?» lance Farouk Hussein, l'un des négociateurs.

Tout repart donc à zéro, mais les frustrations de part et d'autre risquent de briser la relative harmonie qui existait jusqu'à présent entre les négociateurs, les autorités philippines et les gouvernements dont des ressortissants sont détenus. Ricardo Puno, porte-parole du président Estrada, a indiqué que la Libye pouvait se retirer du processus de négociation si «elle ne se sentait pas en position d'aider». A Tripoli, un haut fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères accuse certaines parties, sans les nommer, d'être jalouses du «nouveau succès libyen». Force est aussi de constater que tous les otages malaisiens ont maintenant été libérés, par l'intermédiaire de l'homme d'affaires sino-philippin, Lee Peng Hwee, qui a mené des négociations en parallèle. La pression des familles et de l'opinion publique risque de se faire de plus en plus forte sur les gouvernements occidentaux impliqués, notamment sur la France – qui n'a obtenu aucune libération en quatre mois mais continue de laisser le gouvernement philippin mener les négociations.