Les «mèmes internet»: instruments de guérilla politique
TED Global 2013
Comment, lorsqu’on se trouve dans un pays où la liberté d’expression ne fleurit pas et que l’Internet y est spécialement surveillé, échapper à la censure et manifester sa solidarité? C’est ce qu’est venue démontrer vendredi, à TEDGlobal 2013, l’écrivain et technologue américaine An Xiao Mina

La spécialité de An Xiao, ce sont les «mèmes internet». Attention: à ne pas confondre orthographiquement avec le mot «même». Un «mème internet» c’est un phénomène, un mot, une image, une allusion qui se transmet de manière virale et devient comme un signe de ralliement pour tous ceux et celles qui en comprennent le sens, le passent plus loin, le disséminent à tous vents.
Ainsi, en Suisse romande – mais ça ce n’était pas dans le TED Talk de An Xiao Mina – , il existe une page Facebook créée par les étudiants de l’EPFL et qui cumule la plus impressionnante collection de «mèmes internet» consacrée soit à l’école polytechnique soit à Patrick Aebischer lui-même. Parmi les derniers «mèmes internet» en date, un détournement hilarant de «Tintin au Congo», transformé pour l’occasion, en «Patrick au Congo».
On l’a compris, un «mème» permet de rire et de sourire viralement d’une institution, d’un Etat, d’une célébrité.
Mais il permet aussi de transformer son mécontentement ou sa désapprobation en un puissant outil de guérilla politique. Comme par exemple dans le cas de l’artiste dissident chinois Ai Weiwei. Là les choses prennent une tournure plus graves, mais les mécanismes de détournement sont identiques... Et ils ne manquent jamais d’une certaine forme d’humour, même celle du désespoir.
En avril 2011, explique An Xiao Mina, Weiwei est escamoté par les autorités durant 81 jours. Ses associés et ses proches sont inquiétés, interrogés, surveillés et espionnés. Lui, mis au secret. Et toutes celles et ceux qui tentent, via l’Internet de protester ou de manifester leur inquiétude quant à sa disparition, et qui mentionne le nom de Weiwei, voient leurs messages être effacés, parfois même leurs comptes disparaître. Ce que tentent les autorités, c’est d’éradiquer Weiwei de la Toile chinoise
C’est alors qu’émerge soudain sur les réseaux sociaux une noria de graines de tournesol. En référence à l’artiste détenu, qui avait fait de graines de tournesol en porcelaine une de ses oeuvres les plus célèbres, exposée en 2010 à la Tate Modern de Londres.
«Cette fois, censurer l’allusion en faisant disparaître les images de graines de tournesol ou le mot lui-même, était une action impossible pour le gouvernement. Cela aurait été un peu comme si les Etats-Unis avait essayé de censurer sur Internet l’évocation des patates chips»...
Mécanisme semblable en action lorsque un militant des droits de l’homme, chinois lui aussi, et aveugle, Chen Guangcheng se réfugie, de manière rocambolesque, à l’ambassade des Etats-Unis à Pékin. Sur les réseaux sociaux, les sympathisants modifient leur profil: ils chaussent tous une paire de lunettes noires, ou en affublent leur avatar, allusion transparente à l’aveugle Chen Guangcheng.
Simple, redoutable, viral, incoercible . Désormais, grâce à l’Internet, partout où la répression, la brutalité gouvernementale, l’oppression règnent, se développent les «mèmes internet».
Ainsi en Afrique. An Xiao Mina régale l’assemblée de TEDGlobal d’un exemple kenyan surgi lors des récentes élections. Tandis que la presse officielle relatait de prétendues escarmouches aux bureaux de vote, un «mème» surgit sur Twitter: «#TweetLikeaForeignJournalist». Histoire de contre-balancer la propagande officielle et de faire entendre sur le mode de l’humour, les frustrations à l’égard des autorités, comme à l’égard d’une presse partisane.
Pour An Xiao Mina, ces détournements viraux sont à l’Internet social ce que l’art des rues est à la polis dans la vie réelle: une signalétique de nos identités, de nos valeurs, de nos combats et de nos convictions.
Instant de grâce à TEDGlobal...