A Yongbyon, la menace d’un Tchernobyl nord-coréen

Corée du Nord Pyongyang aurait relancé le réacteur vétuste de la centrale. Les scientifiques s’en inquiètent

Le sinistre site atomique de Yongbyon grouille de nouveau comme une ruche. Depuis l’été, les satellites espions occidentaux détectent des indices prouvant la relance du vétuste réacteur de 5 mégawatts, comme l’avait promis Kim Jong-un en avril dernier, en plein bras de fer avec les Etats-Unis.

Un vieux bâtiment datant des années 1980 abriterait désormais une usine de combustible pour alimenter la centrale, affirme en décembre le site spécialisé 38 North. S’asseyant sur les résolutions de l’ONU et un accord de démantèlement conclu avec le président George W. Bush, le jeune leader nord-coréen poursuit son cavalier seul nucléaire. Après avoir relancé son programme interdit, il envisage même de l’étendre afin, officiellement, de soutenir la relance de son économie. Une détermination qui augure d’une nouvelle crise avec Washington, inquiet du développement de l’arsenal atomique du royaume ermite.

«Etat cauchemardesque»

Mais pendant que les diplomates fourbissent leurs arguments pour tenter de relancer les pourparlers à six sur le nucléaire, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme. La menace atomique nord-coréenne la plus pressante n’est pas militaire, mais civile. Elle ne se cache pas dans une improbable ogive nucléaire, mais derrière la façade lézardée du réacteur de Yongbyon. Avec, à la clé, le risque d’un nouveau Fukushima aux conséquences redoutables pour l’ensemble de l’Asie du Nord-Est. «Ce réacteur vient d’un autre monde. Nous risquons un accident pire que Tchernobyl, affirme Seo Kyun-reul, professeur à l’Institut nucléaire de la prestigieuse Université nationale de Séoul. Les gouvernements sont obsédés par la bombe. Ils négligent le dossier de la sûreté.»

La Russie, elle, experte ès catastrophes atomiques et traditionnellement indulgente avec son ancien protégé communiste, a exprimé ouvertement son inquiétude. «Le réacteur est dans un état cauchemardesque. Il pourrait entraîner des conséquences terribles pour la péninsule coréenne», affirmait une source diplomatique russe en septembre. Un diagnostic préoccupant, confirmé par des experts occidentaux. «Yongbyon rassemble les ingrédients du désastre parfait», explique Peter Hayes, spécialiste de l’énergie nord-coréenne au Royal Melbourne Institute of Technology.

La première source d’inquiétude provient de la technologie dite «Magnox» utilisée à Yongbyon, datant des années 1950 et qui a été depuis abandonnée même par la Russie et la Chine, du fait de sa dangerosité. Cette technologie a recours au graphite et non à l’eau pour stopper les neutrons. Un matériel extrêmement inflammable qui fut à l’origine de l’un des accidents les plus graves en Occident, l’incendie de la centrale de Wind­scale en 1957, au Royaume-Uni.

Cette faiblesse fondamentale est encore aggravée par un second facteur spécifique à Yongbyon: l’usage de graphite périmé. En raison des sanctions internationales, Pyongyang n’est pas en mesure d’importer ce matériau qui doit normalement être changé tous les dix ans. Un suremploi qui augmente encore le risque inflammable. En cas d’incendie, le scénario catastrophe est déjà écrit, selon le professeur Seo Kyun-reul. A la moindre étincelle, le graphite subira une «déflagration», prendra feu et les ingénieurs perdront le contrôle du réacteur. A mesure que la température monte au cœur, un implacable engrenage s’enclenche. A son tour, le CO2 utilisé dans le système de refroidissement à Yongbyon s’échauffera puis se mettra à fuir. Avant de provoquer une explosion sous la force de la pression, catapultant en altitude un nuage de particules hautement radioactives, comme à Tchernobyl.

«Brasier radioactif»

En théorie, la faible puissance de 5 mégawatts de la centrale devrait limiter l’ampleur d’un accident, comparé à la catastrophe ukrainienne déclenchée par un réacteur de 1000 mégawatts. Mais c’est sans compter sur la concentration de matériaux radioactifs hautement inflammable entreposés à proximité: un centre de traitement du plutonium, une usine d’enrichissement, et surtout les piscines où baignent des milliers de barres de combustible nucléaire usagées et hautement radioactives. «C’est un grand magasin de l’atome. Si le feu se déclare sur l’une des installations, il risque de se propager à l’ensemble du site et provoquer un immense brasier radioactif», met en garde Seo Kyun-reul.

Un scénario aux conséquences incalculables pour le régime et ses voisins. En quelques heures, les particules radioactives atteindront Pyongyang, à seulement 90 km, et pourraient menacer Séoul, à 250 km au sud. Les vents dominants les emporteront vers Vladivostok et le nord du Japon. Les difficultés de la troisième économie mondiale à faire face à Fukushima laissent entrevoir l’impuissance d’une Corée du Nord appauvrie en cas de désastre. «Les ingénieurs nord-coréens ont l’habitude de travailler avec ce matériel vétuste. Ils savent ce qu’ils font», tempère un expert américain qui a visité les lieux en 2010. «Face à du matériel défectueux, les meilleurs ingénieurs sont impuissants», prévient Seo Kyun-reul.