Pour le gouvernement mexicain, il est devenu «la patate chaude» dont il faut se débarrasser à tout prix. En multipliant les déclarations favorables à l’extradition de Joaquín «El Chapo» Guzmán aux Etats-Unis depuis son arrestation vendredi dernier dans son fief du Sinaloa (nord), l’exécutif du président Enrique Peña Nieto opère un «changement radical», selon la presse mexicaine.

Après sa capture en 2014, au terme de treize ans de cavale, les autorités, grisées par ce coup de filet, envisageaient que le principal chef de cartel réponde de ses crimes au Mexique, où il serait jugé et purgerait sa peine. Or, de la prison de l’Altiplano, au nord-ouest de Mexico, où il était vraisemblablement amené à finir ses jours, le «capo» s’est évadé en juillet dernier. Depuis sa nouvelle capture, il n’est plus le même prisonnier: il est devenu, du point de vue du gouvernement, inutile et trop risqué de la garder au Mexique. La ministre de la Justice, Arely Gómez, a été chargée de l’exprimer mardi: «Nous avons lancé la procédure formelle d’extradition dimanche. J’y suis favorable car il n’apporte pas d’informations à notre enquête, alors qu’il pourrait délivrer des informations dans un autre pays.» La ministre a déclaré qu’il y avait actuellement deux demandes d’extradition provenant de tribunaux américains, une en Californie et l’autre au Texas. D’autres juridictions, comme Chicago et New York, ont également levé des charges contre le leader du cartel de Sinaloa, pour narcotrafic et blanchiment d’argent notamment.

«Le gouvernement a donné une dimension nouvelle à cette arrestation en annonçant l’extradition», commente Jean-François Boyer, journaliste et spécialiste du narcotrafic en Amérique latine. «C’est une décision qui répond à des nécessités politiques. On ne peut pas prendre le risque qu’il s’évade ou qu’il conserve son pouvoir.» Cet expert considère qu’il s’agit, pour le gouvernement, de laver son image plus que de punir réellement les narcotrafiquants.

De nombreuses voix politiques s’élèvent pour critiquer cette issue, jugée «facile». «El Chapo doit être jugé au Mexique», a déclaré dans la presse le sénateur de l’opposition de gauche, Miguel Barbosa. Il estime que l’extradition constitue un aveu de faiblesse de la part des autorités mexicaines: s’il est extradé aux Etats-Unis avant d’être jugé au Mexique, «l’Etat ne pourra montrer qu’il est doté d’institutions solides capables de faire respecter la loi».

Alors que le Mexique a intensifié sa politique d’extradition de narcotrafiquants vers les Etats-Unis depuis 2000, sous les présidences de Vicente Fox et Felipe Calderón, le futur départ du baron de la drogue le plus important des vingt dernières années, une véritable légende adulée par les uns, haï par les autres, marque les esprits. «Le pouvoir mexicain se plie aux désirs de Washington, analyse le journaliste José Reveles, qui a enquêté sur le cartel de Sinaloa. Le gouvernement va avaler toutes les critiques, mais ce qui lui importe en dernier recours, c’est de se débarrasser du Chapo.»

La procédure pour extrader «El Chapo» aux Etats-Unis pourrait s’étendre sur une année minimum et jusqu’à cinq ans, au vu des nombreuses possibilités de recours qu’offre le système judiciaire mexicain. Les avocats de Joaquín Guzmán bataillent fermement pour le soustraire à l’extradition. Deux juges fédéraux ont déjà accordé la suspension temporaire de la procédure, premières étapes d’une longue kyrielle de recours à venir. «El Chapo» semble souscrire la devise des anciens chefs de cartels colombiens menant campagne contre les extraditions dans les années 1990: «Mieux vaut une tombe en Colombie qu’une prison aux Etats-Unis.»

C’est en rencontrant la star hollywoodienne Sean Penn par l’intermédiaire de l’actrice mexicaine Kate del Castillo et en maintenant des contacts téléphoniques postérieurs avec eux que Guzmán a pu être localisé par les autorités mexicaines en octobre, traqué à travers plusieurs Etats du nord avant d’être arrêté le 8 janvier.