Migrants: ces «hotspots» dont l’Afrique ne veut pas
Maroc
Lors d’une conférence sur la sécurité à Rabat, la plupart des délégués africains ont redit leur scepticisme sur la création de centres d’enregistrement des migrants, défendus par Emmanuel Macron

Non aux «hotspots» au Maghreb ou au Sahel pour y «trier» les migrants en route vers l’Europe. Lors de la conférence sur la sécurité en Afrique organisée mardi à Rabat par le think tank marocain OPC-Policy Centre (OCP-PC), l’idée défendue par Emmanuel Macron de centres d’examen dans les pays de départ ou de transit – sorte de postes-frontières européens avancés comme celui installé depuis octobre 2017 à Agadez (Niger) – a été rejetée par la plupart des participants, civils et militaires.
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L’ancien patron de la police des frontières marocaine et analyste à l’OCP-PC Abdelhak Bassou a redit son scepticisme sur cette option toujours préconisée par Paris pour soulager les frontières extérieures sud de l’Union européenne: «Un «hotspot» n’a de sens que si l’on a les moyens de renvoyer les déboutés du droit d’asile, et si les pays d’origine sont associés. Sinon, à quoi va-t-on aboutir? A une montée des colères locales devant ces policiers européens venus «trier» les migrants, et à de nouvelles tentatives de passage des individus rejetés.» Paris a promis d’accueillir d’ici à 2019 quelque 3000 migrants éligibles à l’asile en provenance du «hotspot» d’Agadez, à partir des listes du Haut-Commissariat pour les réfugiés.
Plus qualifiés que la moyenne
La conférence de Rabat a passé au crible les difficultés de la mission de maintien de la paix de l’ONU au Mali, l’un des pays de départ et de transit des migrants où les autorités doivent leur survie à l’intervention militaire française et internationale depuis 2013. Or cinq ans après, le délitement de l’Etat malien est toujours loin d’être endigué. Les menaces djihadistes perdurent. L’économie demeure exsangue. L’aspiration au départ des hommes jeunes, souvent plus qualifiés que la moyenne, est massive. Une cinquantaine de Maliens se trouvaient d’ailleurs parmi les 630 migrants naufragés en Méditerranée, sauvés par l’Aquarius et débarqués dimanche à Valence (Espagne).
«Pensez-vous réellement qu’un «hotspot» installé à Bamako y changerait quelque chose? interroge un haut responsable de l’ONU. La réponse est non. Pire, en pleine campagne présidentielle (l’élection aura lieu le 29 juillet et le très controversé chef de l’Etat sortant, Ibrahim Boubacar Keita, est à nouveau candidat), un tel «hotspot» serait vite ingérable, y compris pour la sécurité des personnels.»
Ce qu’il faut, c’est créer des pôles économiques attractifs en Afrique
L’alternative? D’abord en finir avec l’obsession sécuritaire, qui consiste à croire que les murs, les centres d’enregistrement et l’augmentation des effectifs de l’agence Frontex – chargée des frontières de l’espace Schengen – décourageront les candidats au départ. L’ancien policier Abdelhak Bassou a, dans le passé, participé à la création des commissariats mixtes dans les ports marocains et espagnols, pour contrôler les navires.
Il s’en félicite, mais compare néanmoins ces initiatives sécuritaires à un ballon sur lequel chaque pression crée une nouvelle poche d’air: «Les couloirs de migrants bougent, changent, évoluent selon les obstacles dans l’immense zone sahélienne. Faire baisser la pression est la solution. Croire qu’on peut la retenir est illusoire.» D’où la proposition lancée à l’UE par plusieurs experts: concentrer l’aide communautaire sur quelques zones d’investissement en Afrique capables d’accueillir ces migrants économiques avant tout à la recherche de travail.
La régularisation de près de 50 000 Africains déplacés est ainsi en cours au Maroc. Le Sénégal, la Tunisie, l’Ethiopie pourraient aussi absorber une main-d’œuvre africaine plus importante si le secteur du bâtiment ou la construction d’infrastructures y était soutenus: «On se trompe en pensant que les Etats en grande difficulté de la zone sahélienne peuvent être remis sur pied à court terme avec quelques dizaines de millions d’euros, juge Karim El Aynaoui, directeur de l’OCP-PC. L’ONU a déjà la plus grande peine à y maintenir la paix. Ce qu’il faut, c’est créer des pôles économiques attractifs en Afrique. Croire que ces migrants veulent à tout prix se rendre en Europe est une contre-vérité.»
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Lier aide économique et questions de migration
L’idée d’une nouvelle conditionnalité de l’aide est acceptée, voire souhaitée. «Nos gouvernements ont affaire avec la Commission européenne lorsqu’il s’agit de parler d’aide économique, mais avec chaque gouvernement national lorsqu’on parle migrants. Il faut d’emblée lier les deux», concède un officier supérieur tchadien. Conditionnalité entre le montant de l’aide et l’acceptation des retours des déboutés du droit d’asile parvenus sur le sol européen.
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Conditionnalité entre l’appui économique et la régularisation, dans les pays africains bénéficiaires, des migrants en provenance du Sahel, du Soudan ou de l’Erythrée. «L’UE a davantage besoin de partenaires au sud capables d’absorber avec elle les flux migratoires que de soi-disant barrières. Lesquelles, de toute façon, nourrissent la corruption et les passeurs», conclut Karim El Aynaoui.