au village Migrants
Pouilly-en-Auxois, en Bourgogne, accueille depuis février une soixantaine de réfugiés de la Corne de l’Afrique. Les habitants se montrent hospitaliers, tandis que l’extrême droite dénonce un envahissement
Certains connaissent Pouilly-en-Auxois pour sa gougère (pâte à choux au fromage) et son Petit Thoreylien (vin de Bourgogne), d’autres pour son paisible canal et ses maisons d’hôte situées non loin des très visités Hospices de Beaune. La bourgade (1550 âmes), à 40 kilomètres de Dijon, est en passe d’accéder à une nouvelle notoriété. Le Times londonien, le Welt berlinois, Libération, Le Monde, Le Figaro et des télévisions y ont dépêché des envoyés spéciaux. Raison: une soixantaine de requérants d’asile venant majoritairement de la Corne de l’Afrique ont emménagé depuis février dans l’ancienne caserne de gendarmerie, bâtiment de quatre étages à l’architecture pour le moins brute mais qui ravit les nouveaux résidents. Ceux-là erraient cet hiver dans les rues de Calais, dormant la journée au mieux sous des tentes, épiant la nuit la remorque du poids lourd qui les conduirait clandestinement vers l’eldorado britannique, se faisant au passage rudoyer par une police aux frontières «à cran».
Le Ministère de l’intérieur a décidé de désengorger Calais, ville de long transit étouffée par la misère du monde, en dispersant les volontaires sur l’ensemble du territoire. Vingt départements ont été identifiés, dont la Côte-d’Or. «J’imagine qu’à Paris un haut fonctionnaire a posé le doigt sur une carte et a dit, en voyant que le bâtiment de la maréchaussée était vide: là, il y a de la place!» ironise Bernard Milloir, le maire sans étiquette de Pouilly-en-Auxois, homme jovial d’un optimisme à toute épreuve. «La sous-préfète m’a dit le 29 décembre que 80 migrants allaient arriver dans les deux mois! J’ai réuni le Conseil municipal et on a fait un rapide calcul, ils allaient représenter 5% de la population!» Peur sur le village? «Pas à ce point, mais de grosses inquiétudes, répond le maire. Les gens regardent la télé et ils savent qu’à Calais il y a souvent des heurts entre les ethnies ou les nationalités. Et puis il y a eu le 7 janvier et Charlie, les amalgames entre islam et terrorisme. Alors ces gens-là dans notre campagne…»
Le journal local Le Bien Public a vent de l’histoire et annonce dès janvier l’ouverture d’un centre d’accueil provisoire à Pouilly-en-Auxois. «Mais l’article était ainsi rédigé qu’il laissait entendre que le djihad arrivait chez nous», peste l’édile. Le site d’extrême droite Fdesouche reprend l’information et dénonce le convoyage des migrants de Calais en Bourgogne «aux frais du contribuable». Conséquences: début d’incendie criminel dans l’ancienne gendarmerie, menaces de mort par lettres, e-mails et téléphones à l’encontre de Bernard Milloir.
De tels agissements n’avaient jamais été observés dans le canton. Le maire sait parfaitement que ces intimidations sont extérieures au village. Il tente néanmoins de désamorcer la crise naissante en réunissant ses administrés avec le soutien des services de l’Etat. Il explique que ces jeunes hommes sont là temporairement, qu’ils souhaitent obtenir l’asile en France et se sont engagés à respecter les lois de la République. La sous-préfète insiste sur le fait qu’ils ne sont pas des délinquants mais des êtres humains éduqués, qui ont quitté travail et famille pour leur sécurité.
Le 4 février, 22 premiers migrants (Ethiopiens, Erythréens, Soudanais, Congolais) arrivent en loque, brisés par de longs mois de périple à travers mers et terres puis de nuits de veille dans les fossés calaisiens. Bernard Milloir montre l’exemple en termes d’hospitalité. Il va chercher des migrants avec sa propre voiture et les emmène au Château de Chailly (4 étoiles) à l’occasion de la Chandeleur qui traditionnellement réunit les notables locaux. Cet épisode des crêpes agite la blogosphère nationaliste qui invite les habitants de Pouilly-en-Auxois à prendre leur carte du Front national (FN).
Mais ceux-ci réagissent de toute autre manière. Témoignage de Marie-Jo Bourcier, qui dirige le service social de la commune: «Peu après l’installation des requérants, 25 villageois se sont présentés spontanément pour offrir leurs services, donner des cours de français par exemple. Ensuite, des gens ont récupéré de vieux vélos, un mécano les a retapés et ils ont été offerts aux migrants. Nos équipes de foot leur ont ouvert leurs séances d’entraînement. Une partie de la population s’est mobilisée.» Bernard Milloir complète: «Et un monsieur conduit les croyants le vendredi à la mosquée de Beaune.»
Quatre mois plus tard, les réfugiés ont intégré le décor. Ils se font discrets, aucun incident n’a été déploré et on s’est habitué sur les coups de 17 heures à les voir débouler à bicyclette place de la Libération, leurs cabas à la main. Les commerçants se frottent les mains car ces messieurs achètent beaucoup et local. «De gros mangeurs de pain», se félicite une boulangère. La gérante du Leader Price estime de son côté que cette clientèle est en train de remonter le chiffre d’affaires de sa supérette. Ils perçoivent chacun 11,45 euros par jour à titre d’allocation temporaire d’attente. Une aide qui en irrite certains dans le village dont de vieux parents touchent une retraite inférieure à 450 euros par mois «alors qu’ils ont travaillé toute leur vie».
Bernard Milloir n’ignore pas cette précarité silencieuse qui gagne de plus en plus les campagnes françaises, «mais, argue-t-il, on ne peut tout de même pas laisser ces gens mourir de faim chez nous». Il poursuit: «Les habitants sont des employés ou des ouvriers aux salaires maigres, ils n’ont pas fait beaucoup d’études, n’ont pas beaucoup de culture, mais ils ont du bon sens. Une très large majorité a choisi d’accepter ces étrangers.»
Le 12 avril dernier, venus de Chalon, des militants du Parti de la France, présidé par Carl Lang, un transfuge du FN, distribuent des tracts xénophobes dans le village et organisent un apéritif saucisson devant l’ancienne gendarmerie. Les travailleurs sociaux du centre d’accueil découvrent leurs pneus crevés. En réponse, 150 Polliens (le nom des habitants) rejoignent les réfugiés dans leur foyer autour d’un repas républicain. «On a craint le pire, des provocations, mais tout s’est bien passé, les requérants ont même cuisiné notre traditionnelle gougère», se souvient Bernard Milloir.
Danielle Malas, jeune préretraitée de la banque postale, faisait partie des convives. On la retrouve au centre social. Tandis que des dames s’adonnent au cartonnage et à la couture, Danielle enseigne à un jeune Africain les rudiments du français. «Je tente de lui expliquer qu’il faut rouler à vélo à droite et non à gauche, parce que beaucoup de réfugiés ne connaissent pas notre code de la route. C’est une leçon de français très utile.» Pourquoi s’être portée volontaire? «J’ai lu les livres de Pierre Rabhi et c’est ma part de colibri avec mon petit bec, dit-elle joliment. Je fais un peu à mon niveau pour venir en aide. Ces gens sont des victimes. Ce jeune homme m’a raconté qu’il a voyagé sept mois pour sauver sa peau. On ne prend pas autant de risques juste pour venir bénéficier du RSA [revenu de solidarité active, ndlr]. Chez nous, la vie s’est rétrécie, quand un jeune a dégotté un travail au McDo, les familles parlent de réussite. Ces étrangers prouvent que la volonté de s’en sortir peut mener loin.» Le jeune Africain a refusé de répondre aux questions du Temps. Les requérants évitent la presse, «sans doute à cause de reporters qui à leur arrivée ont publié des photos pouvant les identifier clairement», relève le maire.
A Thoisy-le-Désert, au lieu-dit Le Calvaire, à trois kilomètres de Pouilly, vit Henri Fagottet, homme lui aussi sensible au malheur des autres. Il est éleveur à la retraite, son fils s’occupe aujourd’hui des 400 vaches charolaises. Henri a convié à sa table le dimanche 3 mai trois jeunes Ethiopiens. «Un repas de famille avec mon fils, ma bru, ma fille, mon gendre, mes petits-enfants et ces garçons, on a mangé du poulet et des frites et on a beaucoup parlé», résume-t-il. Henri connaît l’Ethiopie. Il raconte: «Un voisin, un ancien maire, avait jumelé sa ville de banlieue parisienne avec une ville éthiopienne. Un jour, je lui ai dit: si je te donne 10 euros, ils vont aller là-bas? Il m’a dit oui. L’année suivante, j’ai fait une collecte et on a donné 300 euros à un village qui s’appelle Fadji. Tous les ans, la somme grossissait.» En 2007, Henri va pour la première fois à Fadji et voit que l’argent a contribué à la rénovation de l’école et à la vaccination du bétail. Il monte une amicale rurale franco-éthiopienne. Il y retourne en 2009 et en 2014. L’école est désormais pourvue en électricité et eau et les agriculteurs se sont organisés en coopérative. Il enchaîne: «On doit accueillir ces gens comme des hommes, ne pas les rejeter à la mer. Les recevoir à ma table est un non-événement. On a mangé, on a visité la ferme et maintenant ils appellent le dimanche pour demander des nouvelles de la famille.»
«Les habitants n’ont pas fait beaucoup d’études, mais ils ont du bon sens. Une très large majorité a choisi d’accepter ces étrangers»