L’hélicoptère survolait un village au nord d’Alep, lorsqu’un missile l’a abattu en plein vol, le mardi 27 novembre. Une vidéo diffusée sur le Net par les rebelles montre clairement l’impact avant que l’engin ne s’écrase. Le lendemain, dans le même périmètre, idem, mais cette fois c’est un chasseur-bombardier qui a été pris pour cible. Plus de doute, les rebelles syriens ont des missiles sol-air. Depuis des mois, des rumeurs non corroborées faisaient état d’armes sophistiquées aux mains des insurgés. Il pourrait s’agir d’un tournant dans la guerre: la fin de la suprématie aérienne de l’armée régulière, qui pourrait riposter en recourant à ses missiles balistiques. Source d’inquiétude supplémentaire, selon le Pentagone, Damas a déplacé une partie de son arsenal chimique en fin de semaine dernière, ce qui a suscité de vives réactions outre-Atlantique.
Dans l’appartement qu’Abou Kamal a transformé en petite armurerie, dans le nord de la Syrie, à une dizaine de kilomètres de la frontière turque, on trouvait, il y a deux semaines, des fusils-mitrailleurs de différents calibres, pour la plupart d’origine russe, quelques armes de poing, italiennes, belges et russes. Des lance-roquettes russes, et des grenades à main de fabrication artisanale, des gros pétards qui ressemblent plus à des bâtons de dynamite qu’à des grenades. Les armes proviennent essentiellement de butins de guerre successifs. Echangées ou revendues, elles passent d’un groupe armé à l’autre. Des missiles? Abou Kamal n’en a pas, mais en aurait vu: «Des missiles ont été livrés par le Qatar, mais nous n’avons pas les codes pour les utiliser.»
La question de l’origine de ces missiles est sensible car, depuis le début du conflit, Damas accuse la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite notamment de livrer des armes aux rebelles. Pour le porte-parole de l’Armée syrienne libre (ASL), Fahad al-Masri, «une cinquantaine de missiles auraient été saisis lors de la prise de la base militaire 46, dans la région d’Alep, survenue la semaine dernière». «Peu vraisemblable», selon Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), pour qui «l’armée n’a aucune raison de conserver des missiles sol-air dans des bases périphériques menacées par les rebelles alors qu’elle a la maîtrise du ciel».
Ces missiles portatifs, couramment appelés «Manpads», proviendraient en fait de Libye: «Une cinquantaine de Manpads ont disparu des stocks libyens, certains ont pu être acheminés vers la Syrie avec l’aide des Qataris, via la Turquie», explique Fabrice Balanche. Dans cette hypothèse, la Turquie aurait donné son feu vert. «Après la création, le mois dernier, de la Coalition nationale syrienne, l’ASL réclamait un geste fort de la part de la communauté internationale, plus précisément des armes.» Mais l’embargo sur les armes, décrété au début de l’insurrection, impose la discrétion aux Etats qui soutiennent les rebelles et le recours à des filières secrètes.
L’apparition d’armes sophistiquées dans l’arsenal des rebelles coïncide avec la prise de nouvelles positions dans le nord, le long de la frontière turque, et à l’est, sur le cours de l’Euphrate. Pour la première fois depuis le début du conflit, les rebelles disposent de régions qu’ils contrôleraient totalement s’ils avaient aussi la maîtrise de l’espace aérien. «La Turquie appuie la création d’une zone tampon, assez sûre pour que la rébellion puisse y installer des infrastructures, camps et hôpitaux, et l’opposition y établir un gouvernement provisoire. Un pas est fait dans cette direction avec l’acquisition par les rebelles de ces Manpads qui leur permettent de menacer directement l’aviation.»
L’armée syrienne dispose de nombreux missiles Scud datant de l’ère soviétique et de SS-21 nord-coréens, mais pour l’instant elle n’en a pas fait usage. Devant les risques que le nouvel arsenal des rebelles fait peser sur son aviation, elle pourrait être tentée d’y recourir. En juin, Bachar el-Assad menaçait déjà d’utiliser ses armes chimiques en cas d’attaque extérieure. L’activité suspecte décelée autour des lieux de stockage des têtes chimiques inquiète. Lundi, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton a clairement averti: «L’utilisation d’armes chimiques constitue une ligne rouge.» Damas tentait hier de rassurer la communauté internationale, mais l’inquiétude demeure car, avec ses manœuvres militaires, le pouvoir syrien a rappelé sa capacité de nuisance.
«L’ASL réclamaitun geste fort de l’extérieur, plus précisément des armes»