Vue de l’Expo de Shanghai, l’Europe paraît dirigée par des Schtroumpfs. La Belgique, qui préside ce semestre l’Union européenne, a englobé cette dernière dans son pavillon. Dans la partie de l’installation dédiée à l’UE, les curieux découvrent un film ingénieux, montrant deux hommes dansants, pinceau de peinture noire à la main. Leur ballet finit par calligraphier: «Europe et Chine, partenaires d’hier, d’aujourd’hui et demain.»
Le parcours passe ensuite à la Belgique, «cœur de l’Europe»; sous ce fronton, un Schtroumpf – étonnamment, tout blanc. A la fin du chemin, une petite affiche, dans un coin, annonce un colloque Chine-UE qui se tiendra le 4 septembre sur le site de l’Expo, consacré à la propriété intellectuelle.
Ce seul pavillon à deux facettes illustre l’ambivalence des nations à l’Expo. La volonté de pousser un peu le curseur sur le propos, politique ou environnemental, dans ce cadre chinois; et la nécessité de courtiser le chaland par tous les moyens. Quitte à paraître moralistes, certains concepteurs de pavillons n’hésitent pas à donner des leçons de gestion écologique; mais ils n’oublient jamais de glisser quelques marques nationales – après tout, les Schtroumpfs en sont aussi une. Symbole culturel et business global. A son stand, la Guinée vante ses gisements de bauxite; le Togo, ses banques; Hongkong, ses technologies de communication urbaines.
En ce sens, l’Expo 2010 remonte presque aux sources de ces grands raouts planétaires, à Londres en 1851. Lorsqu’il s’agissait de chanter les avancées glorieuses de la civilisation, et dans le même temps, intensifier le commerce entre pays. Ceux-ci servent dès lors de supports de prestige pour leurs entreprises. A Shanghai, la nation, en tant que telle, forme déjà une marque, qui attire: les pavillons des pays bénéficient de files d’attente bien plus longues que les sites thématiques, ceux des villes ou des Nations unies.
Comme chaque exposition de ce genre, Shanghai réserve des places de choix à ses sponsors. Insérée dans une ville au capitalisme débridé, l’Expo affiche pourtant un paradoxe: les bâtiments des compagnies partenaires ont une moindre emprise que lors de la précédente Expo universelle, au Japon en 2005. Là-bas, les colosses architecturaux de Toyota, Canon ou Japan Rail y surplombaient une belle place du site principal.
A Shanghai, les sponsors sont garés sur le site de Puxi, au nord du fleuve Huangpu, moins couru que celui de Pudong, où se trouvent entre autres le pavillon chinois et la zone «Europe», très fréquentée. Sur sa façade, China Telecom avance même voilée, l’attraction étant baptisée «pavillon de l’information et des communications». Non loin, Coca-Cola, Cisco ou China Oil se montrent plus démonstratives. Outre son exposition nationale, la Corée du Sud s’est même dotée d’un bâtiment dédié aux affaires, d’où tombe de la neige artificielle trois fois par jour…
Hillary Clinton à la rescousse
Reste que pour le visiteur arpentant les allées, les sponsors paraissent moins visibles. En fait, ils éclatent désormais dans les pavillons nationaux. La Suède vante des véhicules propres de Volvo – devenue chinoise, ça tombe bien. L’Allemagne réserve une salle à ses fleurons industriels. La France inclut directement les parrains dans le parcours, qui comprend une halte déclamant «alimentation et activité physique, le chemin vers la santé» (merci Sanofi Aventis) ou un espace Michelin…
Dans cette catégorie, personne ne peut rivaliser avec les Etats-Unis, qui ont failli snober l’Expo faute de financement pour leur pavillon. Leur présence a été sauvée par des récoltes de fonds menées par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton.
Pour appâter les compagnies, les arguments ont dû être souples: des représentants des sponsors figurent in corpore dans un film présenté durant la visite… Après une piquante séquence dans laquelle des Américains tentent de prononcer «ni hao» (bonjour), des cadres de Chevron ou General Electric spéculent sur les enjeux écologiques. Un genre de création scénographique intégrée, greffant le sponsor au cœur même du propos.
Ainsi, le monde qui s’exhibe à Shanghai est composé, le plus souvent, de pays qui font le grand écart. Ils tentent à la fois de valoriser leur patrimoine touristique à gros renforts de clichés (c’est leur image de marque initiale); puis, ils s’empressent de vanter leur capacité d’innovation; enfin, leurs drapeaux cautionnent d’autres oripeaux, pas les couleurs nationales, mais celles des logos.
N’empêche. Au milieu de ces étalages officiels, aux ficelles trop grosses, l’Expo a ses instants de magie microgéopolitique. Dans le pavillon de Belgique-UE, on surprend une ado chinoise s’appliquant, en tirant la langue, à bien photographier avec son téléphone… le Traité de Rome de 1957, qui instituait la Communauté économique européenne. Où, ailleurs, assisterait-on à telle scène?
Demain: le parc de l’Expo,modèle de la ville du futur?