Contacté par Le Temps, William Kelley, 21 ans, étudie à l’Université d’Oxford. Issu d’une famille d’universitaires, il ne se reconnaît pas dans le mouvement de protestation estudiantin. «Les manifestants devraient proposer une alternative crédible au plan de réforme sans quoi ils ne seront pas pris au sérieux. Il est question ici d’éducation, ce n’est pas une bataille entre le socialisme et le capitalisme. Il s’agit d’une manière différente de financier les hautes écoles.»
Le jeune étudiant en histoire explicite les vrais tenants du projet: «Les taxes augmentées ne devront pas être payées pendant les études. Les étudiants ne commenceront à rembourser un prêt de l’Etat qu’au moment où ils auront un salaire supérieur à 31 000 francs par année. Le remboursement s’élèvera à 9% du revenu à partir de ce revenu et s’étendra sur trente ans.»
William Kelley réfute l’argument selon lequel la réforme va pénaliser les jeunes issus de familles défavorisées dont l’accès à l’université serait rendu plus difficile. Selon l’étudiant, un système de bourses et de prêts va permettre aux moins fortunés de bénéficier d’une aide leur permettant de couvrir les coûts de la vie.
Professeur émérite de la London School of Economics, George Jones avance que l’enjeu de la réforme est de maintenir, voire d’améliorer, la qualité du système universitaire britannique confronté à une très âpre concurrence, notamment américaine. Trois des dix meilleures universités du monde sont britanniques. Mais le professeur met en garde: «Ce n’est pas la hausse des taxes universitaires qui va empêcher les étudiants les moins favorisés d’accéder à l’université. C’est plutôt, en amont, la médiocre qualité de leur éducation qui les handicape. En fonction des quartiers où ils habitent, le niveau des écoles peut radicalement changer.»
Dans un document publié récemment, le recteur de l’Université d’Oxford rappelle que les coûts annuels d’un étudiant s’élèvent à 25 000 francs. «Les taxes universitaires et les fonds publics couvrent la moitié de cette somme. Les 12 500 francs restants sont financés par les fonds qu’Oxford rassemble, y compris des dons.» La vénérable institution ne cache toutefois pas sa crainte de subir les effets négatifs des coupes dans l’éducation.
L’Union nationale des étudiants estime que la hausse des taxes va créer un système «à l’américaine» et réduire l’accès «démocratique» à l’université. Le Higher Education Policy Institute, un groupe de réflexion indépendant, relève que le nouveau système pourrait permettre des économies à court terme, mais occasionner des coûts cachés à long terme, car de nombreux diplômés pourraient se retrouver dans l’incapacité de rembourser leurs prêts dans les trente ans. Le think tank est d’avis que le modèle élaboré par Downing Street prévoyant qu’un diplômé universitaire masculin gagnera en moyenne un salaire réel annuel de 156 000 francs d’ici à 2046, est très «optimiste».
La réforme du gouvernement Cameron n’est pas un projet ex nihilo. Elle repose en grande partie sur le rapport de Lord Browne sur les hautes écoles commandé à l’époque par le premier ministre Gordon Brown et présenté en octobre dernier. John Browne le souligne: «Actuellement, 45% (39% en 2000) des jeunes entre 18 et 30 ans accèdent à l’université.» A ses yeux, le système n’est plus à même de permettre les investissements nécessaires pour être à la hauteur des concurrents étrangers. Il recommande d’ailleurs de ne pas imposer de plafonds aux universités pour fixer le niveau de leurs taxes universitaires. La réforme ne doit pas empêcher les bons élèves, défavorisés d’étudier. Mais elle ne doit pas non plus pousser tous les jeunes à faire des études universitaires s’ils n’ont pas le profil requis.
Le plan gouvernemental pourrait faire plusieurs victimes. La première est politique. Vice-premier ministre, le libéral-démocrate Nick Clegg avait promis, même à l’époque où Tony Blair avait augmenté les taxes universitaires en 2005, de s’ériger contre toute hausse. Mercredi à la Chambre des communes, il a admis avoir rompu sa promesse. La seconde est académique: Downing Street privilégie les sciences dures, la médecine et l’ingénierie au détriment des arts et des sciences humaines. Pour le professeur George Jones, «cette politique peut nuire au rayonnement intellectuel de la société».