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Les Monténégrins fustigent le régime corrompu de Milo Djukanovic

Des milliers de personnes ont manifesté samedi soir à Podgorica pour réclamer la démission du premier ministre au pouvoir depuis 1991. Deux députés ont été arrêtés

Des policiers lors des affrontements de samedi à Podgorica, Montenegro. — © REUTERS/Stevo Vasiljevic
Des policiers lors des affrontements de samedi à Podgorica, Montenegro. — © REUTERS/Stevo Vasiljevic

Jamais Podgorica n’avait connu de telles scènes de violence. Samedi soir, peu après 22 heures, la police a violemment chargé les milliers de manifestants rassemblés devant le parlement. Lacrymogènes, bombes assourdissantes, un lourd nuage de fumées et de gaz s’est abattu sur la capitale monténégrine, tandis que la police ratissait les rues du centre. Des affrontements sporadiques se sont poursuivis durant une partie de la nuit. Les urgences ont admis plusieurs dizaines de blessés légers, tandis que de nombreux manifestants ont été arrêtés, dont deux députés, Andrija Mandic et Slaven Radunovic.

L’opposition monténégrine manifeste contre le régime de Milo Djukanovic depuis le 27 septembre, exigeant la démission du premier ministre, au pouvoir depuis 1991, la formation d’un gouvernement d’union nationale et la convocation d’élections «libres et démocratiques». Samedi 17 octobre, le camp de tentes établi devant le parlement avait été violemment démantelé par la police, et l’opposition avait appelé pour le samedi suivant à une «grande manifestation pacifique». Quelque 10 000 personnes ont répondu à l’appel – un chiffre non négligeable dans un petit pays de 600 000 habitants. Le cortège s’est dirigé vers le parlement, où les députés de l’opposition ont demandé à pouvoir pénétrer. L’ambiance s’est rapidement tendue, quelques manifestants ont tenté de forcer le cordon de police, provoquant une très violente réponse.

Initiée par le Front démocratique – une des composantes de l’opposition qui regroupe surtout des partis traditionnellement pro-serbes – la mobilisation s’est étendue la semaine dernière. Dans le cortège, on trouvait des organisations de la société civile, les étudiants ou le mouvement LGBT. Sur la foule, flottaient les drapeaux de toutes les communautés nationales du pays: Monténégrins, Serbes, mais aussi Bosniaques. «Nous avons tous des visions politiques différentes», explique Milka Tadic, directrice de l’hebdomadaire «Monitor», qui incarne depuis un quart de siècle la conscience «citoyenne» de l’ancienne république yougoslave, «mais nous avons un objectif commun: rompre avec l’autocratie qui règne sur le Monténégro sans partage et pille notre pays».

Longtemps fidèle de Slobodan Milosevic, Milo Djukanovic est devenu «pro-occidental» à la fin des années 1990. Il entend désormais diriger le Monténégro vers l’intégration européenne et l’adhésion à l’OTAN. Le régime est pourtant rongé par une corruption systémique et des liens avérés avec le crime organisé. Dans les années 1990, l’Etat monténégrin organisait le trafic de cigarettes à une échelle européenne. Désormais les constructions qui défigurent les magnifiques côtes du pays servent surtout à blanchir de l’argent sale. «Nous sommes un petit pays, et rien ne peut se faire sans l’aval du clan dirigeant», poursuit Milka Tadic.

Dans ses rapports annuels, la Commission européenne pointe régulièrement ce poids de la corruption et la faible indépendance de la justice, mais Milo Djukanovic se pose en garant de la «stabilité régionale» et de l’orientation pro-européenne du pays. Dans les manifestations de l’opposition, certaines banderoles dénonçaient l’adhésion du Monténégro à l’OTAN, qui pourrait être actée lors du prochain sommet de l’Alliance atlantique, et les médias gouvernementaux mettent en avant cette dimension pour diviser l’opposition, tout en dénonçant l’influence supposée de la Russie sur celle-ci. Pourtant, aucun drapeau russe n’était visible samedi soir à Podgorica. «Personnellement, je suis pour l’adhésion à l’OTAN, car c’est une garantie de sécurité, explique un chauffeur de taxi. Mais ce n’est pas cela qui mobilise la population. Les gens n’en peuvent plus, le chômage est massif, jamais la misère n’a été si grande, malgré l’opulence apparente de Podgorica ou des villes du littoral.»

Dimanche, l’opposition a appelé à la libération immédiate des députés emprisonnés et appelé à un nouveau rassemblement. Alors qu’un calme fragile était revenu dans la journée à Podgorica, nul ne veut prédire l’issue du bras de fer engagé avec le régime.