Mort d’Arafat: les Suisses persistent et signent
Proche-Orient
Les experts du CHUV assurent avoir mené une analyse plus approfondie que leurs collègues français, qui ont rendu leurs conclusions mardi
Le chef historique de la cause palestinienne Yasser Arafat a-t-il été tué ou est-il mort de cause naturelle le 11 novembre 2004 à l’hôpital militaire français de Percy, près de Paris? La question se pose depuis que des experts de l’Université de Lausanne ont découvert en 2011 des quantités anormalement élevées de polonium 210 sur des effets personnels du dirigeant. L’étude de la dépouille, exhumée en novembre 2012, était censée trancher. Mais les groupes d’experts mobilisés, un français, un suisse et un russe, ont rendu des conclusions différentes. La vérité restera-t-elle à jamais introuvable? Pas forcément. Les Suisses, dont les résultats sont mis en cause, ont tenu jeudi à se défendre, en assurant que leur analyse a été la plus sérieuse.
Les divergences sont grandes entre les trois groupes d’experts, qui ont pourtant reçu le même matériel au même moment. Les Russes ont affirmé qu’ils n’avaient pas repéré la moindre trace de polonium dans les ossements du dirigeant palestinien. Les Suisses, qui ont présenté leurs résultats le 5 novembre, ont annoncé tout au contraire en avoir trouvé des quantités près de 20 fois supérieures à la normale et estimé que le phénomène avait probablement une cause artificielle, à savoir l’empoisonnement. Quant aux Français, qui ont rendu public leur rapport mardi, ils ont confirmé l’existence de doses élevées, mais les ont attribuées à une cause naturelle.
L’effet radon
Le rapport russe n’a pas été jugé concluant. Les travaux suisses et français, eux, retiennent davantage l’attention. Ils proviennent en effet de deux institutions également réputées sur la scène internationale: l’Institut de radiophysique appliquée (IRA) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne, et l’Institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Que penser dès lors de leurs divergences? Que les Suisses ont été trop affirmatifs? Que le matériel à disposition autorise des conclusions contradictoires? Le directeur de l’IRA, François Bochud, s’en défend. A l’entendre, les Français n’ont pas poussé leurs recherches aussi loin qu’ils le pouvaient et se sont contentés de la première explication venue: la contamination de la dépouille de Yasser Arafat par le radon présent sous terre, un gaz qui a pour caractéristique notoire de se transformer avec le temps en polonium.
L’équipe lausannoise aurait été plus méticuleuse. «Nous avons passé en revue toutes les origines connues du polonium 210 en l’état actuel de la science, assure François Bochud. Après avoir exclu le tabagisme et d’anciennes peintures militaires, nous nous sommes longuement attardés sur le radon, qui ne se présentait pas comme une piste mais comme une autoroute. Nous avons pris tellement au sérieux cette hypothèse que nous avons même demandé de ne pas ouvrir la tombe de Yasser Arafat avant d’avoir pu en extraire de l’air. Ce qui nous a permis de mesurer avec précision la présence de ce gaz autour de la dépouille.»
Du corps à la terre
Or, il est apparu qu’il n’y avait pas plus de radon dans cette tombe que dans n’importe quelle autre, alors qu’il y avait bien plus de polonium dans le corps du dirigeant palestinien que dans un cadavre ordinaire. Le corps, et non l’environnement, fait figure d’exception.
«Mais il ne faut jamais se satisfaire d’une expérience», souligne François Bochud. L’équipe lausannoise a donc comparé des échantillons de terre prélevés sous le corps de Yasser Arafat avec d’autres, extraits à l’autre bout de la tombe, pour découvrir que les premiers recelaient 17 fois plus de polonium que les seconds. Ce qui tend là aussi à prouver que le polonium s’est propagé du corps à la terre et non de la terre au corps.
Les Suisses se sont livrés à d’autres tests encore – comme comparer des bouts de cuir chevelu et des morceaux de linceul – pour arriver invariablement à la même conclusion: la source du polonium paraît bien se situer dans le corps et non dans l’environnement. D’où la décision finale des Suisses d’exclure l’hypothèse radon et, par conséquent, la cause naturelle.
Il reste à savoir pourquoi les Français ont conservé ce scénario. «Ils n’ont pas enquêté suffisamment sur ce que supposait une contamination par le radon, répond François Bochud. Dans notre travail, il existe des procédures standards mais il faut aussi de l’imagination pour trouver certains paramètres. Or, tous les enquêteurs ne montrent pas la même créativité.»