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La mort de Rafsandjani: un coup dur pour le président iranien

Alors que les «durs» ont le vent en poupe à Téhéran, le président perd l’un de ses principaux soutiens

Les Unes des journaux iraniens, après la mort  d'Akbar Hachémi Rafsandjani. Le pays respectera trois jours de deuil. — © AP Photo/Vahid Salemi
Les Unes des journaux iraniens, après la mort  d'Akbar Hachémi Rafsandjani. Le pays respectera trois jours de deuil. — © AP Photo/Vahid Salemi

La disparition, dimanche, de l’ancien président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani représente un formidable saut dans l’inconnu pour l’Iran. Paré de son turban blanc, l’ancien président incarnait-il un des derniers emblèmes de la république théocratique, ou au contraire un héraut des réformateurs iraniens? Agé de 82 ans, l’homme continuait en tout cas de tirer un nombre incalculable de ficelles. Au point que, avec lui, c’est l’un de ses principaux soutiens que vient de perdre le président actuel, Hassan Rohani, à quelques mois d’élections cruciales prévues en mai prochain.

Parcours contrasté et opaque

Le long parcours de Rafsandjani aura été aussi contrasté, et souvent aussi opaque et mystérieux, que l’est la République iranienne elle-même. Prononcée par l’ayatollah Ruhollah Khomeini, la phrase est restée célèbre pendant plus de trois décennies: «La révolution sera vivante tant que Rafsandjani restera en vie», avait dit le fondateur de la République islamique iranienne dans les années 80.

Le temps a donné raison à l’imam. Homme de confiance de Khomeini jusqu’à sa mort en 1989, cet ancien opposant au chah d’Iran a été ensuite à l’origine de l’élection de son successeur, le Guide suprême Ali Khamenei. Il permettait ainsi la survie du régime avec un minimum de heurts. Et en échange, un Rafsandjani déjà coutumier des plus hauts postes de pouvoir, allait obtenir pour lui-même le titre de président de la République, entre 1989 et 1997.

Mais cette sorte de partage des rôles à la tête de la République islamique ne sera jamais synonyme de pouvoir monolithique. Rien, à l’époque, ne permet de ranger Rafsandjani dans la catégorie des réformateurs. Alors qu’il en avait sans doute les moyens, l’homme ne s’était pas opposé à la poursuite de la guerre meurtrière contre l’Irak, pas plus qu’il n’avait levé le petit doigt pour empêcher des vagues massives d’exécutions d’opposants. Une fois devenu président, ce pilier de la révolution est aussi soupçonné d’avoir approuvé, sinon commandité, des assassinats de leaders de l’opposition à l’étranger ainsi que l’attentat terroriste qui fit 84 morts à Buenos Aires en 1994.

Battu par Ahmadinejad

Très vite, pourtant, c’est presque à une guerre de tranchées que vont se livrer le Guide suprême et celui qui incarnera de plus en plus clairement un ambitieux compétiteur politique. Ainsi, dès la fin des années 90, Ali Khamenei semble s’employer à faire tout ce qui est en son pouvoir pour savonner la planche d’un retour possible de l’ex-président. Une rivalité qui culminera en 2005 avec l’échec de Rafsandjani d’accéder à nouveau à la présidence du pays. A la surprise générale, voilà en effet ce père fondateur de la république islamique battu par le maire conservateur de Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad.

«Le Guide suprême a fini par prendre l’ascendant sur celui qui avait fortement contribué à le faire élire, résume Thierry Kellner, chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Mais même s’il a été officiellement marginalisé, Rafsandjani n’en a pas moins continué jusqu’à maintenant à jouer un rôle-clé derrière les rideaux.»

A travers ses activités politiques, Rafsandjani avait bâti l’une des plus importantes fortunes du pays, ce qui lui permettait autant de consolider ses soutiens que d’enrichir son propre cercle. Le nom de cet adepte d’une économie plus libérale et d’un certain rapprochement avec les Etats-Unis était devenu surtout synonyme de corruption pour beaucoup d’Iraniens. Mais progressivement, la roue a tourné. «Face à Ahmadinejad, Rafsandjani a immanquablement fait figure de modéré», poursuit Thierry Kellner. En 2009, alors que le même Ahmadinejad est réélu, l’ancien confident de Khomeini se fera le relais de ceux qui contestent la régularité du scrutin. Il multipliera ensuite les critiques face à la violente répression qui frappera le «mouvement vert», né en opposition à cette réélection.

Equilibre des pouvoirs

Entre Rafsandjani et le Guide suprême, la lutte ne fera que se durcir. Jusqu’à ce que, privé une nouvelle fois de course à l’élection, l’ancien président se range il y a quatre ans derrière le réformateur Hassan Rohani, contribuant à le faire élire contre toute attente.

«Rafsandjani était incontestablement un atout important dans le jeu de l’actuel président», confirme Thierry Kellner. Or, à quelques mois des prochaines élections – pour lesquelles Rohani n’est pas encore officiellement candidat – chaque carte compte désormais. Artisan, côté iranien, de l’accord sur le dossier nucléaire, mais à la tête d’un pays qui reste frappé par les sanctions américaines, le président est encore loin de bénéficier des retombées positives promises. Bien pire: alors que les durs du régime ont pour l’instant le vent en poupe, grâce notamment à leur participation à la guerre en Syrie aux côtés du régime de Bachar el-Assad, le calcul se complique encore avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche et la menace d’un nouveau regain de tension avec Washington. Rafsandjani excellait dans un rôle en particulier: celui de contribuer à un certain équilibre des pouvoirs en Iran. Il laisse ce rôle vacant à un moment particulièrement sensible.