«Le président Poutine, qui est lui-même un homme solide, apprécie la ténacité historique de la Suisse, petit pays ayant su rester indépendant depuis plus de sept cents ans.» Nul ne mettra en doute la parole de Pascal Couchepin, expliquant vendredi, au sortir d'un entretien d'une heure et quart avec le président russe, qu'il s'est efforcé de donner à Vladimir Poutine une image plus positive de la Suisse. Néanmoins, dès son arrivée au Kremlin, le président de la Confédération, un peu piégé, a été immédiatement plongé dans le bain de la discorde, avec un Poutine l'apostrophant, devant les caméras des télés russes, sur un sujet particulièrement sensible: la catastrophe aérienne de juillet 2002 au-dessus du lac de Constance.

Quand et comment le contrôleur aérien de la compagnie suisse Skyguide, supposé responsable ou coresponsable de l'accident ayant entraîné la mort de 71 enfants et accompagnants russes, sera-t-il puni? Et surtout quand et comment les familles des victimes seront-elles indemnisées. «Nous ne pouvons admettre, ni vous, ni moi, que ce problème soit noyé dans des arguties juridiques. J'espère que cette affaire sera réglée de la même manière que s'il s'agissait d'un avion d'une compagnie occidentale», a asséné le président russe. «Nous savons le malheur que représente cette catastrophe et nous souhaitons qu'une solution juridique soit trouvée le plus vite possible. Nous savons déjà qui est coupable, mais nous n'avons pas encore éclairci le degré de sa culpabilité», a répliqué Pascal Couchepin, ajoutant que la procédure judiciaire répondait «aux normes européennes» et se déroulait «plutôt plus rapidement qu'à l'ordinaire pour ce genre de cas».

Le président de la Confédération a aussi fait part à Vladimir Poutine du souhait de la Suisse de voir disparaître de la liste infamante des zones off-shores dressée par la Banque centrale russe les quatre cantons qui y figurent (Fribourg, Neuchâtel, Genève et Zoug): Vladimir Poutine a promis d'en toucher un mot au président de ladite banque. Pascal Couchepin a ensuite risqué une prudente mise en garde sur la question des libertés, rappelant «qu'une résolution politique du conflit en Tchétchénie» impliquait «un haut degré de respect des droits de l'homme dans cette région». Une phrase qui, de l'aveu du président suisse, n'a entraîné aucun commentaire de la part de son homologue russe.

D'un point de vue économique Pascal Couchepin a estimé qu'on ne pouvait «pas parler de période glaciaire entre la Russie et la Suisse, puisque nous sommes le quatrième investisseur dans ce pays avec 1,3 milliard de dollars l'année dernière et plus de 450 entreprises suisses présentes en Russie». Durant sa visite de trois jours, qui avait débuté à Saint-Pétersbourg, Pascal Couchepin avait eu l'occasion de souligner que les milieux d'affaires helvétiques attendent d'abord de la Russie de la stabilité. Les journalistes russes n'ont pourtant pas manqué de lui demander si les attaques actuelles de la justice russe contre le géant pétrolier Yukos n'étaient pas «de nature à dissuader les investisseurs occidentaux». Pascal Couchepin a éludé, expliquant qu'il avait vanté auprès de Vladimir Poutine «le capitalisme suisse, un capitalisme moral où l'on n'admet guère qu'un patron gagne 300 fois plus que ses employés».

Même Vladimir Poutine s'est alors senti obligé de voler au secours des oligarques, soulignant «que pour le bon fonctionnement d'une entreprise il était bon que les meilleurs cadres soient très bien payés». Ce petit désaccord n'a pas empêché Pascal Couchepin de renouveler l'invitation de la Suisse pour une visite officielle du président russe. Ce qui tombe bien. Le maître du Kremlin a en effet révélé qu'il avait appris à skier en Suisse, à Davos précisément, et qu'il souhaitait lui aussi des retrouvailles prochaines. Conclusion optimiste et un peu ennuyée du président de la Confédération: «Je crains de devoir bientôt rechausser mes skis.»