Au lendemain du sommet extraordinaire à Bruxelles consacré au conflit russo-géorgien, Moscou continuait hier de pavoiser, comme si sa diplomatie avait encore remporté un franc succès. Peut-être à juste titre: pour toute riposte au découpage du territoire géorgien entrepris par Moscou, l'Union européenne s'est contentée de reporter les négociations sur le nouveau partenariat avec la Russie. «Ce sommet a montré, comme on s'y attendait, que l'Europe ne sait pas quoi faire contre nous, se réjouit Vitali Ivanov, vice-président du Centre de conjoncture politique, une officine proche du Kremlin. La seule menace qui pourrait être dangereuse pour nous, ce serait qu'on refuse d'acheter notre pétrole et notre gaz. Cela n'a pas été fait, et ne peut d'ailleurs pas l'être.»
Le Ministère russe des affaires étrangères a dit «regretter» la suspension des négociations sur le partenariat, mais a aussitôt relativisé sa peine: «Ces deux dernières années, Moscou est habitué aux obstacles artificiels dans ces négociations», a ajouté le ministère, rappelant que l'accord précédent de partenariat a déjà expiré depuis 2007 et que la Russie n'en est donc plus à un report près. «Dieu merci, le bon sens l'a emporté», s'est félicité de son côté le premier ministre Vladimir Poutine.
Dans les cercles proches du Kremlin, certains se permettent maintenant de déplorer la trop grande faiblesse de l'Europe. «Une des conséquences durables de ce conflit, ce sera, me semble-t-il, la faillite morale de l'Europe et des Etats-Unis, analyse le député pro-Kremlin Sergueï Markov, interrogé par le quotidien Moskovski Komsomolets. Je crains que cela puisse avoir des conséquences négatives pour notre pays: la perte d'autorité morale des pays occidentaux peut affaiblir les partisans d'une modernisation de la Russie.» Moscou ne s'arrêtera certainement pas dans sa nouvelle confrontation engagée avec l'Occident, prévient cet analyste: «Le scénario le plus réel» serait maintenant une «guerre civile» en Ukraine, met en garde Sergueï Markov. Son président, Viktor Iouchtchenko, veut faire entrer le pays dans l'OTAN, ce que ni son peuple (ni surtout la Russie) n'acceptent, rappelle le député.
«Des scénarios»
«La crise est profonde entre la Russie et l'Occident, elle ne s'apaisera certainement pas si vite, surtout dans la perspective du sommet de l'OTAN de décembre, qui doit étudier les demandes d'adhésion de la Géorgie et l'Ukraine, confirme Maria Lipman, analyste du centre Carnegie, à Moscou. La Russie avait déjà dit plusieurs fois qu'elle ne laisserait pas l'OTAN franchir cette ligne rouge, mais l'Occident ne lui prêtait guère attention. Ce qui ne veut pas dire que la Russie va maintenant envahir l'Ukraine; la politique russe n'est pas si primitive. Elle a beaucoup d'autres moyens d'influencer la politique ukrainienne, qui est très faible et instable. Un des scénarios, actuellement discuté à Moscou, serait que [la première ministre] Ioulia Timochenko soit élue à la présidence ukrainienne avec le soutien russe.»
Au-delà des rodomontades, le Kremlin a pris acte que l'Union européenne a réussi à surmonter ses divisions, même si sa réponse est encore a minima. Surtout, Moscou ne peut voir sans inquiétude comment l'UE se pique maintenant plus que jamais d'intervenir en Géorgie et ce qu'elle considère comme ses «zones d'influence». Tout cela ne laisse guère présager un apaisement. Le fond du problème est que la Russie «ne peut faire concurrence à l'Occident par des moyens pacifiques», met en garde l'analyste Dmitri Orechkine, dans les colonnes du Moskovski Komsomolets: «Pour l'Ukraine, la Russie ne peut être plus attractive que l'Union européenne. Et de même pour la Géorgie.» La tentation d'un nouveau scénario militaire, qui semble avoir si bien réussi en Géorgie, risque pour cela de demeurer. Aussi longtemps du moins que l'opinion publique russe continuera d'approuver massivement les coups de force de ses dirigeants.