La Russie se prépare à revoir fondamentalement sa politique étrangère. Dans un article publié dans la version russe du magazine Newsweek, Moscou envisage d’améliorer ses relations avec l’Occident et en particulier les Etats-Unis et l’Europe. La nouvelle doctrine a été élaborée par le ministère russe des Affaires étrangères et approuvée par Dmitri Medvedev, le président russe. L’objectif de Moscou: mieux défendre les intérêts économiques du pays qui a fortement souffert de la crise économique et financière de ces deux dernières années. L’intitulé du projet est pour le moins explicite: «Programme sur l’emploi efficace et systématique des facteurs de politique étrangère en vue du développement à long terme de la Fédération de Russie.» Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov appelle à créer des «alliances de modernisation avec les Etats-Unis et l’Europe» et à trouver des moyens pour utiliser le «potentiel technologique américain».

Directeur du Centre Russie/NEI (nouveaux Etats indépendants) à l’Institut français de relations internationales, Thomas Gomart analyse ce document de doctrine: «C’est pour la Russie un retour aux fondamentaux. A l’image de la Chine et des Etats-Unis, l’économie russe et l’économie européenne sont très imbriquées. Entre 55 et 60% du commerce extérieur de la Russie passe par le partenariat avec l’Europe. Mais pour Moscou, ce qu’on appelle le dilemme russe demeure: se rapprocher de l’UE tout en gardant son indépendance.» Pour le chercheur, la difficulté de positionnement de la Russie va plus loin. Ces dernières années, Moscou s’est souvent présenté aux Européens comme une puissance émergente du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Une manière de leur montrer que la Russie appartenait aux Etats à fort potentiel économique. La réalité russe est pourtant différente. La Russie est le maillon faible du BRIC. En 2009, l’économie s’est rétrécie de 9% et la crise s’est fait durement sentir.

Thomas Gomart relève que la volonté russe de s’ouvrir aux Etats-Unis découle du changement de ton de l’administration Obama, mais aussi de la relation russo-européenne qui patine et qui n’arrive pas à aboutir au nouvel accord UE-Russie. Les Etats-Unis ne poussent plus à une extension de l’OTAN en Ukraine et en Géorgie. Ils viennent de signer le nouvel accord Start avec Moscou et ils sont moins sourcilleux au sujet de l’étranger proche de la Russie. Quant à l’Europe, elle est moins concernée par le devenir de l’Ukraine. «Elle doit déjà s’occuper d’elle-même, poursuit Thomas Gomart. Si Kiev s’est rapproché de Moscou, c’est aussi en raison du vide politique laissé par l’UE. L’Ukraine, qui traverse une grave crise, préfère se tourner vers le FMI et la Russie que vers l’Europe.»

Le revirement russe en matière de politique étrangère est-il à prendre au sérieux? Le directeur du Centre Russie/NEI pense que le texte publié dans Newsweek est intéressant. «Mais il ne faut pas non plus surinterpréter les textes doctrinaux qui sont publiés régulièrement. Une politique étrangère, c’est comme un paquebot, il faut du temps pour changer de cap.» Même si sur cette question il ne voit pas de grand clivage entre Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine, le premier ministre, il croit le premier plus sensible au nouvel état d’esprit de l’administration américaine qui tranche avec la «brutalité rhétorique de Bush et Poutine».