C’est la plus ancienne, la plus vaste, la plus prestigieuse mosquée de Tunis. La Zitouna («l’olivier», en arabe) trône au centre de la médina, à deux pas du palais de la Kasbah, le siège du gouvernement. Depuis plusieurs semaines, les deux institutions se livrent un bras de fer. Comme «des dizaines» de mosquées en Tunisie, recense le Ministère des affaires religieuses, la Zitouna échappe au contrôle de l’Etat.
«Maintenant, c’est le peuple qui commande», tonne Houcine Labidi, octogénaire impétueux et «grand cheikh» des lieux. L’imam fait lecture de l’accord paraphé en mai avec trois ministres: «La mosquée Zitouna est une institution indépendante», déclame-t-il, théâtral.
A l’époque, les autorités et Houcine Labidi, appuyé par des associations d’anciens élèves, s’étaient mis d’accord pour relancer l’enseignement «zitounien». La mosquée a longtemps abrité une université, réputée dans le monde arabe. A l’indépendance, dans sa volonté de moderniser le pays, le président Habib Bourguiba décide de mettre fin à sa mission éducative et crée une faculté de théologie, à l’occidentale. Un choix que beaucoup de «zitouniens» n’ont jamais digéré.
«Le 1er octobre, ce sera la reprise de l’enseignement zitounien», se félicite Ali Aouini, ancien de la maison, maintenant professeur d’histoire bénévole et membre de la machyekha, l’équipe qui gère le lieu. Mais le contrat signé, les divergences apparaissent. La machyekha lancera ses formations sans certifications.
Surtout, c’est l’un des prêches de Houcine Labidi qui a signé le divorce. C’était en pleine «affaire Abdellia», au mois de juin. Des émeutes viennent de secouer le pays, en marge de manifestations contre une exposition d’œuvres jugées «blasphématoires». Le vendredi, l’imam explique à ses fidèles «ce que prévoit le Coran: qu’il faut exécuter ces gens-là [ndlr: les artistes], mais que seul le gouvernement peut le faire», rapporte Ali Aouini. Un «appel au meurtre des artistes», dénoncent ceux-ci.
Depuis, les autorités tentent en vain d’écarter l’imam. Le Ministère des affaires religieuses en a nommé de nouveaux, «mais les gens les ont refusés», raconte Ali Aouini. Houcine Labidi a fait changer les serrures de la porte principale et, selon le ministère, a agressé l’huissier venu constater les faits. L’imam lui-même est brièvement arrêté. Pour lui, l’affaire est «politique»: «J’ai refusé de prêcher pour eux le vendredi, comme du temps de Ben Ali. Ils veulent écarter tous ceux qui ne leur obéissent pas», accuse-t-il, clamant son indépendance. D’autres murmurent que les salafistes et la formation radicale Ettahrir ont ici leur influence.
Pour le ministère, «c’est un problème très délicat», indique le conseiller Kamel Essid. D’autant que le cheikh est populaire. Les cours du week-end, lancés depuis quatre mois, rencontrent un franc succès: 2000 personnes y sont inscrites. «Nous ne voulons pas recourir à la force, comme l’ancien régime. Et nous ne voulons pas lui donner la chance de passer pour un héros», poursuit le conseiller, qui assure qu’«on ne connaissait rien de lui avant l’affaire Abdellia».
Le cas de la Zitouna est loin d’être isolé. Après la révolution, de nombreux imams ont été chassés de leur mosquée, accusés d’avoir servi la propagande de l’ancien régime. Les incidents se sont ensuite multipliés: des bagarres ont éclaté dans les salles de prière, entre partisans et opposants de tel ou tel imam, de tel ou tel rituel. Des pratiquants se sont parfois rebellés contre les coups de force de salafistes. Pour reprendre le contrôle, le ministère a demandé à tous les nouveaux imams d’envoyer un curriculum vitae et de régulariser leur situation, au cas où ils répondraient aux critères fixés. Une formation contre l’extrémisme, destinée aux représentants locaux du ministère, a été mise sur pied.
Le parti Ennahda, qui domine le gouvernement, conserve des ambiguïtés sur la question. Le mouvement islamiste a tranché après la révolution pour laisser la politique en dehors des mosquées. Mais la lutte d’influence avec les salafistes l’oblige à ne pas déserter le terrain. «Ennahda n’est pas gêné par la politisation des mosquées, mais par celles qui sont contre lui», juge pour sa part Chérif Ferjani, spécialiste des rapports entre religion et politique.
Vendredi, lors d’un rassemblement pro-gouvernement, à laquelle a pris part l’un des principaux conseillers du premier ministre Hamadi Jebali (Ennahda), les manifestants ont fait leur prière sur le parvis de la Kasbah. L’imam n’a cessé de prêcher le soutien à l’action du pouvoir.
«J’ai refusé de prêcher [pour le pouvoir], comme du temps de Ben Ali»