Dans l'ombre de son puissant homme, ou au premier rang avec lui pour commander: toute cette semaine, «Le Temps» brosse le portrait de cinq compagnes de dictateurs.

Quelles pensées se bousculent dans la tête d’Asma Akhras en ce 31 décembre 2000? Alors que son destin est en train de se sceller à celui de la famille qui règne sur la Syrie depuis près de trente ans, rêve-t-elle de faire souffler un vent de changement sur un régime qui se maintient au pouvoir par la force? L’ancienne banquière, née et élevée en Angleterre, qu’une courte carrière a menée à travailler pour Deutsche Bank et JPMorgan, aspire-t-elle à libéraliser une économie verrouillée par le clan el-Assad?

Plus simplement, la jeune femme de 25 ans s’imagine peut-être en princesse de conte de fées, aux côtés de l’ancien médecin rencontré à Londres huit ans plus tôt. Durant une décennie, tout sera mis en œuvre pour asseoir ce scénario. Très vite, Asma el-Assad donne trois héritiers – deux garçons et une fille – à Bachar el-Assad, devenu président de la République arabe syrienne moins de six mois avant leur union. L’ophtalmologue n’était pourtant pas promis à une telle destinée: son frère aîné Bassel devait succéder à Hafez el-Assad, mais il périra dans un accident en 1994.

Timides tentatives de réformes

Durant quelques mois, le nouveau chef de l’Etat syrien entreprend de timides tentatives d’ouverture du pays. Un «printemps de Damas» sera rapidement avorté, probablement sous l’impulsion de l’ancienne garde rapprochée du père de Bachar el-Assad.

Pour David Lesch, professeur à la Trinity University, au Texas, spécialisé dans l’histoire du Moyen-Orient, l’influence d’Asma el-Assad n’est sans doute pas étrangère à ces embryons de réformes, principalement d’ordre économique. Celles-ci favoriseront l’émergence d’une nouvelle classe moyenne sunnite. «Comme c’est souvent le cas dans des régimes autoritaires et à l’instar de son époux, note celui qui vient de publier Syria: A Modern History, Asma a toutefois fini par se conformer au système plutôt que de le changer.»

A lire: Il est temps de juger Bachar el-Assad

Rapidement, le changement ne semble en effet plus être à l’ordre du jour, même si, durant les années 2000, le couple présidentiel cultive avec soin son image de duo progressiste, occidentalisé. Il s’avérera plus tard que, chimérique, le mythe fut construit et savamment entretenu par des agences de relations publiques grassement rémunérées.

Eclaboussée de sang

Clou de cette opération de séduction, une interview exclusive paraît en mars 2011 dans Vogue. Le lecteur y découvre une «rose du désert», désignée comme la plus «fraîche et magnétique des First Ladies». Bien que réalisé des semaines plus tôt, l’article est publié en plein Printemps arabe, alors qu’une partie de la population syrienne se soulève en réaction à l’arrestation et la torture d’un groupe d’écoliers appelant à renverser le «docteur» Bachar. Le texte suscite un tel tollé que le magazine le retirera par la suite de son site internet. 

Brutalement réprimé, le mouvement de contestation se transforme en lutte armée, et la Syrie s’enfonce peu à peu dans une guerre civile meurtrière. Le portrait idéalisé d’Asma el-Assad se lézarde. Même les conditions de son union avec son mari sont remises en question. Il est vrai que la confession sunnite de la jeune femme tombait à l’époque à point nommé pour la famille el-Assad, alaouite, une branche de l’islam chiite minoritaire dans le pays.

Lire aussi: Bachar le chimique

Alors que le pays sombre dans le chaos, la compagne de celui qui devient le boucher de Damas est objet de conjectures et de spéculations. L’ancienne étudiante du King’s College de Londres va-t-elle se distancier des actes de barbarie dont son mari se rend responsable? Va-t-elle rester aux côtés d’un homme accusé d’avoir recouru à l’arme chimique contre son propre peuple?

Marie-Antoinette orientale

Asma el-Assad ne fera pas défection. Mais elle créera le scandale, lorsque le Guardian révélera que la «rose du désert» fait des achats frénétiques sur internet pendant que les obus et les mortiers s’abattent sur son pays. Il est bien loin le temps où la presse britannique la comparaît à la princesse Lady Di; la voici désormais assimilée à la dispendieuse Marie-Antoinette.

D’abord en retrait, Asma el-Assad tente ensuite de se construire une image de mère de la nation, solidaire de son mari. A travers sa fondation Syria Trust for Development ou par sa simple présence, elle apporte du réconfort aux victimes, loin de l’image de cigale insensible qu’elle projeta au début du conflit mais toujours proche de l’objectif des photographes.

En 2017, elle annonce souffrir d’un cancer du sein, maladie qu’elle dit avoir vaincu un an plus tard, lorsqu’elle apparaît, le cheveu coiffé à la garçonne. Aujourd’hui, celle dont l’influence a encore crû depuis la mort de la mère de son mari en 2016 est soupçonnée d’être l’instigatrice de la disgrâce de Rami Makhlouf, le cousin affairiste de Bachar el-Assad.

Quel vrai rôle?

«Asma el-Assad est-elle une personnalité cruelle ou une héroïne nationale incomprise?» Même l’expert David Lesch ne peut répondre à cette interrogation. Il faudra, selon lui, des années aux historiens pour déterminer le rôle qu’elle a joué durant la guerre de Syrie. «Au manque d’informations se superpose une avalanche de fausses informations.»

Mais attention, prévient-il, «la réalité risque d’être plus nuancée qu’on ne le pense». Malgré tout, Asma ne peut ignorer les horreurs dont son mari, accusé de crimes de guerre, s’est rendu coupable. Cela est déjà assez pour qu’on lui retire une nationalité britannique dont elle bénéficie toujours, arguent de nombreux médias depuis plusieurs années.