La «coalition arabe» se retourne contre Al-Qaida
Yémen
Les djihadistes ont longtemps profité du chaos causé par la rébellion houthiste. Ils se retrouvent aujourd’hui dans le collimateur de plusieurs belligérants

La guerre se poursuit sans relâche au Yémen malgré la récente ouverture de négociations entre ses deux principaux protagonistes locaux, le gouvernement légal replié à Aden et la rébellion houthiste installée à Sanaa. Elle a redoublé d’intensité ces dernières semaines entre deux autres belligérants, les forces d’occupation émiraties et les troupes d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA).
Connue en Europe pour avoir revendiqué l’attentat de l’an dernier contre Charlie Hebdo, AQPA s’est imposée comme l’une des plus puissantes forces djihadistes du Moyen-Orient. A l’instar de l’Etat islamique, elle s’est développée à la fois comme une organisation terroriste, passée maître dans le maniement d’explosifs, et comme une armée classique, capable de contrôler des régions entières. Le renversement du gouvernement yéménite par la rébellion houthiste en 2014 et l’évacuation consécutive de la principale base américaine de drones dans le pays ont représenté pour elle une aubaine. Ces événements lui ont permis d’étendre son territoire dans quatre provinces du sud et de s’emparer de la ville portuaire de Moukalla, sur l’océan Indien.
La conquête de cette localité en avril 2015 rappelle celle de Mossoul par l’Etat islamique dix mois plus tôt. Elle a représenté non seulement la plus grosse prise de guerre des djihadistes locaux. Elle leur a aussi fourni une exceptionnelle source de revenus: quelque 100 millions de dollars à leur arrivée, puis, selon certaines estimations, deux millions de dollars par jour à travers la taxation des activités portuaires, indique Jean-Marc Rickli, professeur assistant au King’s College de Londres et au Collège de défense à Doha.
Les deux occupations n’en présentent pas moins d’importantes différences. Moukalla, 120 000 habitants, a beau être une capitale de province, elle reste une toute petite ville comparée à Mossoul, vingt fois plus peuplée. Surtout, souligne Jean-Marc Rickli, AQPA a misé sur la redistribution des ressources aux plus pauvres et sur la fourniture des services de base pour établir son autorité, quand l’Etat islamique a compté essentiellement sur la violence et la peur pour s’imposer.
Ces derniers mois, AQPA a tenté de pousser son avantage en s’emparant d’une partie croissante du littoral de l’océan Indien et en s’installant de manière toujours plus visible dans certains quartiers de la ville d’Aden, l’ancienne capitale du Yémen du Sud. La conquête de cette agglomération d’un million d’habitants, connue pour occuper une position stratégique sur la route des pétroliers, aurait constitué un succès historique. Aussi marquant, cette fois, que la prise de Mossoul par l’Etat islamique.
Mais c’en était trop. Le péril djihadiste a fini par sembler plus grave encore que le danger houthiste aux yeux du gouvernement yéménite comme à ceux de ses parrains arabes et américains. Peu après l’ouverture des négociations entre le régime et la rébellion, et dans la foulée d’une visite de Barack Obama en Arabie saoudite, une vaste coalition s’est lancée fin avril à l’assaut de Moukalla. Comme à Aden quelques mois plus tôt, l’opération a été menée par les forces spéciales des Emirats arabes unis, confie Jean-Marc Rickli. Des troupes d’élite secondées pour l’occasion par quelque 2000 militaires locaux et soutenues par les Etats-Unis dans le domaine du renseignement.
L’opération a atteint son but principal, la reprise de la ville portuaire. Mais elle n’a pratiquement pas causé de victimes dans les rangs djihadistes. Et pour cause: AQPA a décidé d’évacuer les lieux à la première alerte. Elle s’est résignée à essuyer sans combattre un sérieux revers, pourvu que sa retraite en bon ordre préserve ses intérêts à long terme. Soit la vie de ses combattants et la sympathie de cette fraction de la population qu’elle a soutenue une année durant et qu’elle espère avoir gagnée à sa cause.
«Les djihadistes vont revenir à la guérilla qu’ils ont pratiquée dans le passé, explique Jean-Marc Rickli. Le schéma est classique: le harcèlement des forces ennemies aura pour but de provoquer des représailles, censées causer des dégâts collatéraux, supposés réduire la légitimité des autorités officielles et renforcer celle d’AQPA… Face à la perspective d’un tel engrenage, la stratégie du gouvernement ne pourra pas être purement militaire. Elle devra comprendre des efforts de reconstruction et de soutien aux civils. Une entreprise que les troupes émiraties ont lancée dès qu’elles ont pris le contrôle de Moukalla. Dans tous les cas, la stabilisation de la région va prendre beaucoup de temps.»