Dans le viseur de la justice iranienne depuis une dizaine d’années, l’avocate Nasrin Sotoudeh a été condamnée à une lourde peine, lundi. D’après l’agence de presse iranienne Isna, en partie financée par l’Etat, la militante des droits de l’homme a écopé de 7 ans de prison: 5 pour «rassemblement et complicité de crimes contre la sécurité nationale» et 2 pour «insulte au Guide suprême de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei», d’après une déclaration du juge Mohammad Moghiseh.

Mais cette condamnation ne serait que la partie émergée d’un verdict beaucoup plus lourd, déplore son mari, l’activiste Reza Khandan. Dans un message publié lundi sur Facebook, il a déclaré que le bureau chargé de l’application des peines de la prison d’Evin, où est emprisonnée son épouse depuis neuf mois, faisait état d’une peine de 33 ans de prison et de 148 coups de fouet. Le couple se serait entretenu au téléphone dans la journée pour en discuter, rapporte le Centre pour les droits humains en Iran, basé aux Etats-Unis.

Nasrin Sotoudeh était poursuivie pour sept chefs d’accusation, dont «divulgation d’informations dirigées contre l’Etat, espionnage et apparition devant l’autorité judiciaire sans hijab islamique», avait rapporté son avocat en décembre dernier. Elle est notamment connue pour son soutien envers les femmes qui manifestent contre le port du voile obligatoire dans son pays. Ce mouvement de contestation, né en 2014, prend de l’ampleur ces derniers mois, notamment sur les réseaux sociaux. Une trentaine d’arrestations ont eu lieu jusqu’à présent.

Lire aussi: Les Mercredis blancs des femmes iraniennes contre le voile

Son époux n’a toutefois pas précisé quelles charges étaient retenues contre elle. «Je ne sais pas combien d’années elle a eues pour chacune des accusations parce que notre conversation n’a duré que quelques minutes», a-t-il expliqué. «Je sais seulement que la peine la plus lourde est de 12 ans pour «incitation à la corruption et à la débauche.»

L’Iranienne de 55 ans avait déjà été condamnée à une peine de 5 ans en juin dernier. Dès lors, elle avait décidé de ne pas se faire représenter au tribunal car la procédure en cours ne réunissait pas les conditions pour un «procès équitable». Elle pourra toutefois faire appel de sa condamnation. Son mari a également été condamné à 6 ans de prison pour «complot contre la sécurité nationale» en janvier dernier. 

Des réactions virulentes

Suite à l’annonce du jugement, Amnesty International a rapidement réagi, qualifiant la condamnation d’«injustice» et demandant que l’accusée soit «libérée immédiatement». «Il est scandaleux que les autorités iraniennes la punissent pour son travail en faveur des droits humains. Sa condamnation renforce la réputation de l’Iran en tant qu’oppresseur cruel des droits de la femme», peut-on lire dans leur communiqué publié hier.

L’ONG rappelle également que l’article 134 du Code pénal iranien autorise les juges à infliger une peine plus élevée que celle prévue par la loi lorsque l’accusé fait l’objet de plus de trois chefs d’accusation. «Ici, le juge Mohammad Moghiseh a infligé 4 années supplémentaires à la peine totale de prison, la faisant passer du maximum statutaire de 29 à 33 ans», déplore-t-elle.

Mardi, l’Union européenne a également dénoncé cette peine de prison d’«au moins 7 ans» et a demandé «un réexamen immédiat de la sentence», rapporte l’AFP. «Nasrin Sotoudeh a été condamnée à l’issue d’un procès par contumace qui a également mis en cause un certain nombre d’autres violations du droit à une procédure régulière, a déploré la porte-parole de la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini. Nous attendons que l’Iran veille à ce que le droit de Reza Khandan et Nasrin Sotoudeh de faire appel de leur condamnation soit protégé.»

Les internautes ont exprimé leur colère sur les réseaux sociaux via le hashtag #FreeNasrin, en Iran mais aussi en Europe et aux Etats-Unis. «C’est une condamnation à mort envers cette incroyable militante. Malheureusement, elle succombera avant le 148e coup de fouet…», a écrit une internaute sur Twitter. «L’horreur de la peine révèle à quel point Nasrin Sotoudeh fait peur aux illuminés du régime. Nous devons exiger sa libération, sans compromis», a écrit un autre. «Le système judiciaire iranien est devenu une source systématique d’injustice, de violence et d’insécurité», pouvait-on également lire.

Symbole de l’opposition iranienne

Célèbre figure du militantisme pour le respect des droits de l’homme, l’avocate originaire de Téhéran s’oppose aux autorités iraniennes depuis plus de dix ans. A la suite du mouvement de contestation des élections de 2009, Nasrin Sodouteh avait défendu des activistes et des prisonniers condamnés à la peine de mort pour des infractions commises lorsqu’ils étaient mineurs.

En 2011, elle avait été condamnée à 11 ans de prison pour «diffusion de propagande et conspiration mettant en danger la sécurité de l’Etat». Cette peine avait été assortie d’une interdiction de pratiquer sa profession. Suite à cela, celle qui est aussi mère de deux enfants avait entamé plusieurs grèves de la faim pour protester contre la pression pesant sur sa famille.

A cette époque, Amnesty International avait demandé sa libération immédiate. Nasrin Sodouteh avait été graciée deux ans plus tard. En 2012, le Parlement européen lui a décerné le Prix Sakharov pour la «liberté de l’esprit». L’année dernière, elle a également reçu le Prix international des droits de l’homme Ludovic-Trarieux.