Dans son bureau qui domine les rails dans la Maison de la Paix à Genève, Hiba Qasas a le verbe (anglais) facile et énergique. Cheffe du Secrétariat de l’initiative «Principes pour une paix inclusive», installé dans les bureaux d’Interpeace depuis l’été dernier, elle parvient très vite à faire comprendre pourquoi la quête de paix est une mission quasi existentielle pour elle. Palestinienne de 40 ans, elle a grandi à Naplouse, en Cisjordanie. Elle connaît l’angoisse de vivre en permanence dans l’incertitude du lendemain, dans l’insécurité.

«Pendant mon enfance, je n’ai pas bénéficié d’une liberté élémentaire. Mon éducation a été sans cesse interrompue par le conflit israélo-palestinien», se souvient-elle. Aller à l’école, c’était courir le risque de se trouver bloqué entre des enfants palestiniens qui jetaient des pierres et des soldats israéliens prêts à sévir.

«Maintenir l’espoir»

Peu avant que la maison familiale ne fut bombardée, Hiba Qasas s’empara rapidement d’un sac dans lequel elle prit l’essentiel, les passeports de ses cinq frères et sœurs et des parents, un peu d’argent et de l’eau. «Cela peut paraître absurde, mais en quittant la maison, j’ai absolument voulu emporter des chaussures rouges que je venais d’acheter. C’était une manière de me dire qu’un jour, j’allais les porter. C’était une manière de maintenir l’espoir», raconte-t-elle, convaincue que même dans les moments les plus sombres, on peut toujours espérer voir une lumière au bout du tunnel.

L’engagement de Hiba Qasas pour la paix s’enracine dans cette réalité. Elle se souvient des propos de son père, enseignant, qui lui martelait que dans un environnement aussi instable que la Palestine: «Ton arme, c’est ton certificat.» Aujourd’hui encore, elle en est persuadée: l’éducation est une porte de sortie de l’état de crise permanent. Elle se souvient de filles en Irak à peine libérées du groupe Etat islamique. Leur premier souhait était de bénéficier d’une vraie éducation.

Hiba Qasas est aussi responsable du Secrétariat de la Commission internationale pour la paix inclusive qui vient d’être instituée en décembre. Pourquoi une telle commission? Le constat qu’elle dresse sert de réponse. «Le monde est dans la tourmente. Il ne l’a jamais été autant depuis la Seconde Guerre mondiale, analyse la quadragénaire palestinienne. En 2020, 52 conflits étaient recensés et plus de 168 millions de personnes en besoin d’aide humanitaire dont 80% en raison de conflits.»

Pour elle, c’est une évidence. Les processus de paix ne fonctionnent pas. Il faut les repenser. Que ce soit le Haut-Karabakh, le Soudan du Sud ou la Palestine, les approches de la paix ne sont plus les bonnes. Il faut changer de logiciel. 90% des conflits qui ont éclaté au cours des trois dernières décennies l’ont été dans des pays qui ont connu des guerres civiles auparavant.

Au XXIe siècle, on ne peut plus chercher à les résoudre comme avant. «On s’est jusqu’ici trop focalisés sur le court terme, on n’a pas pris en compte toutes les franges de la société. Les femmes sont un facteur majeur de paix. Mais elles sont souvent oubliées», déplore-t-elle. Ayant longtemps travaillé pour ONU Femmes, Hiba Qasas a cherché à renforcer la participation féminine dans les discussions, notamment en Irak et en Syrie.

Mais l’effort demeure largement insuffisant. Pour Hiba Qasas, c’est une évidence. On ne peut plus appliquer les mêmes recettes standards à tous les pays. Cela vaut pour les ONG, mais aussi pour les Nations unies. Les conditions économiques, historiques, sociales de chaque pays diffèrent d’un conflit à l’autre. Les humanitaires ont les Conventions de Genève qui imposent un code de conduite durant les guerres. Pour la paix, déplore la jeune femme, il n’y a pas de préceptes fondamentaux qui établissent un cadre. Il ne faut dès lors pas s’étonner, relève-t-elle, que 35% des accords de paix ne soient jamais appliqués.

Un manque de suivi

En tant que Palestinienne, elle ne peut omettre de parler des Accords d’Oslo conclus entre 1993 et 1995 entre Palestiniens et Israéliens: «Le processus était entaché de plusieurs défauts rédhibitoires. Il n’était pas orienté vers une vision à long terme. On a renvoyé à plus tard les problèmes cruciaux. Le processus n’incluait pas les femmes et était déconnecté des espoirs de la population. Il y a enfin eu un manque de suivi et de vue d’ensemble.»

Si depuis la Palestine, elle a travaillé à New York, en Irak et en Syrie, elle apprécie désormais la «normalité» de Genève. Franchir deux ou trois frontières entre la Suisse, la France et l’Italie en quelques heures, sans obstacle, est pour elle un émerveillement constant. Mais observant la Palestine où elle retourne de temps en temps, elle le reconnaît: «J’y constate une perte progressive de l’espoir, du cynisme. Mais notre rôle à nous, acteurs de la paix, est de combattre ce cynisme. En Palestine, la démographie peut devenir une source extraordinaire d’énergie nouvelle avec le rajeunissement de la population. Mais si l’on ne fait rien, cela peut aussi être une bombe à retardement.»

Hiba Qasas attend dès lors les élections de mai en Palestine avec impatience.


Profil

1980 Naissance à Naplouse.

2001 Master en coopération internationale à l’Université de Pavie.

2004 Travaille pour le PNUD en Palestine jusqu’en 2008.

2015 Représentante d’ONU Femmes en Irak.

2020 Responsable du Secrétariat «Principes pour une paix inclusive» à Genève.


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