Le rapatriement dans la nuit noire en Irak de quelque 90 familles liées au groupe djihadiste Etat islamique (EI) a ravivé des cauchemars chez beaucoup d’habitants de la région de Mossoul, martyrisée pendant trois ans par cette organisation responsable de terribles exactions.

Aux termes d’un accord avec la coalition internationale anti-EI, les autorités de Bagdad ont dû accepter le retour mardi de ces familles (quelque 300 personnes) qui s’étaient enfuies vers le camp d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie voisine, pour échapper aux représailles de la population irakienne.

«C’est impossible de coexister avec eux»

C’est la première fois que des familles irakiennes liées à l’EI sont rapatriées depuis ce camp – véritable cité de tentes où sont retenus des proches de djihadistes – vers leur pays depuis l’annonce par l’Irak de sa «victoire» sur le groupe djihadiste fin 2017, après de féroces combats.

«Nous sommes totalement contre leur retour, c’est impossible de coexister avec eux car ils ont gardé leurs idées extrémistes», lance Omar, un militaire de 28 ans qui dit vouloir venger son père, assassiné par l’EI. «Comment peut-on accepter qu’ils reviennent alors que de nombreux habitants pleurent au moins un membre de leur famille, disparu après avoir été arrêté par l’EI et dont le corps n’a jamais été retrouvé», ajoute-t-il.

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Les familles rapatriées ont été dirigées, sous escorte de l’armée irakienne, vers Qayyara, au sud de la ville de Mossoul, où se trouve le camp d’Al-Jadaa qui accueille déjà, dans deux zones séparées, près de 7500 déplacés et des familles de djihadistes, selon le ministère des Déplacés.

Des femmes et des enfants

Le directeur administratif du district de Qayyara, Salah Hassan al-Joubouri, se veut rassurant. Ces familles «ne représentent pas un danger sécuritaire, même si je comprends le rejet populaire car ces nouveaux arrivants viennent d’Al-Hol».

Mais selon lui, la plupart des rapatriés sont des femmes et des enfants et la quasi-totalité d’entre eux sont originaires de la province d’Al-Anbar dans l’ouest du pays, qui fut également une place forte de l’EI. «Il n’y a que quatre à cinq familles qui sont originaires de Ninive», la province dont Mossoul est la capitale, précise-t-il. Cela ne rassure nullement Omar: «Notre avenir est sombre et dangereux car ces djihadistes vont vivre près de nous. Ce sont des bombes à retardement.»

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Pour Ali Bayati, membre de la Commission des droits de l’Homme en Irak, un organisme lié au gouvernement, les appréhensions des habitants sont dues au «manque de transparence» des autorités. «Personne ne sait si ces gens ont été interrogés et s’ils ont fait l’objet d’enquêtes», dit-il. Selon lui, «il aurait fallu, avant de les accepter, s’assurer qu’aucun d’eux ne fait l’objet d’une inculpation ou n’a commis de crimes».

Sous influence djihadiste

La ministre de l’Immigration, Ivane Faëq, estime toutefois qu’il «est du devoir de l’Etat de recevoir les Irakiens rapatriés et les installer dans les camps existants, avant de les intégrer dans leurs régions d’origine».

Militant des droits de l’Homme et originaire de Mossoul, Omar al-Husseini, en doute: «le gouvernement doit faire preuve de prudence car ces familles ont passé cinq ans dans le camp d’Al-Hol», sous influence de djihadistes. «L’Etat est-il capable de les intégrer et surtout de protéger la société? Je me le demande.»

Trois ans après la proclamation de la «victoire» de l’Irak sur l’EI, quelque 1,3 million d’Irakiens sont toujours déplacés dans leur pays, dont 20% vivent dans des camps, selon l’ONU.

Les autorités irakiennes ont considérablement accéléré depuis octobre la fermeture de ces camps, mais nombre de déplacés n’ont pas pu retourner chez eux, selon l’Organisation internationale pour les migrations, étant souvent accusés d’avoir été liés à l’EI.