En Israël, un budget controversé creuse le fossé entre laïcs et religieux
Israël
AbonnéLes ultra-orthodoxes et les suprémacistes juifs se sont taillé la part du lion dans le premier budget du gouvernement, faisant enrager l’opposition

Les parlementaires israéliens sont restés debout toute la nuit de mardi à mercredi pour faire passer le premier budget annuel du gouvernement Netanyahou. Une victoire d’importance, pour le chef du Likoud, qui évite ainsi la dissolution.
Deux partenaires du premier ministre avaient fait durer le suspense, jurant de s’abstenir si leurs volontés pécuniaires n’étaient pas accomplies. Finalement, deux accords ont été conclus lundi avec l’un, représentant les ultra-orthodoxes de tradition ashkénaze, puis avec l’autre, celui des suprémacistes juifs. La discipline parlementaire a été respectée: les 64 députés de la coalition ont tous voté pour le budget.
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Frustration grandissante
Les expressions de colère étaient nombreuses dans l’opposition. «Une tache noire dans l’histoire d’Israël», a déclaré Avigdor Lieberman, du parti ultra-nationaliste laïc Israël Beiteinou. «Nous en paierons tous le prix, et nos enfants après nous», a renchéri le centriste Yaïr Lapid. Pouvoir juif, parti des colonies radicales, a obtenu 250 millions de shekels (60 millions de francs) pour renforcer ses politiques de protection des communautés juives dans le désert du Néguev et la Galilée.
Une goutte d’eau par rapport aux concessions faites aux ultra-orthodoxes: environ 4 milliards de shekels (plus de 970 millions de francs) serviront à augmenter les subventions que reçoivent les étudiants en écoles talmudiques. Ces derniers sont dispensés de service militaire, une source de tensions récurrente dans la société israélienne. Un autre milliard de shekels (environ 250 millions de francs) ira à leurs écoles élémentaires, qui font l’objet de vives critiques: elles ne sont pas obligées d’enseigner les savoirs dits «essentiels», comme les mathématiques et l’anglais.
L’Israël laïque exprime ouvertement sa frustration envers la communauté ultra-orthodoxe, qui grandit de manière exponentielle et représente aujourd’hui un cinquième de la population juive du pays. Sans savoir vraiment, car les deux communautés vivent séparées, on jure que les rabbins enfoncent leurs fidèles dans un obscurantisme sectaire, s’attirant leur allégeance. Les hommes en redingote, de plus en plus visibles, deviennent l’objet de tous les fantasmes, dans un Israël qui se scinde de plus en plus autour de la religiosité.
Des mouvements prêchent l’ouverture
«On nous traite de voleurs, on manifeste devant les maisons de nos chefs spirituels, alors évidemment on se crispe – même quand les gauchistes ont raison», explique Yanki Farber,
journaliste au site d’informations ultra-orthodoxe Behadrei Haredim. Pour lui, les subventions ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins d’une population appauvrie, vivant dans un des pays les plus chers du monde. Il décrit un glissement de l’activité politique des haredim sur les quinze dernières années. «Avant, les politiciens ultra-orthodoxes ne cherchaient que les subventions, mais avec Netanyahou, ils sont passés sur le devant de la scène, ils prennent des décisions d’Etat, comme celle d’envoyer des soldats au combat – évidemment que cela ne plaît pas au reste du pays», ajoute-t-il.
Pourtant, dans les villes et les quartiers où les ultra-orthodoxes vivent selon des règles religieuses strictes, les choses changent. Il y a des dissensions, de doux mouvements de rébellion qui prêchent, dans leurs codes, l’ouverture.
«Près de la moitié de la communauté n’est pas connectée à internet – ils ne reçoivent d’informations que par la presse communautaire, forcément imparfaite, décrit encore Yanki Farber, mais le reste sait que pour vivre, en 2023, il faut avoir une éducation, il faut savoir comment marche le monde.»
Aujourd’hui, le journaliste, fatigué de couvrir les nuits blanches d’une actualité politique alambiquée, n’est pas optimiste: «Je ne sais vraiment pas comment ça va se finir.» Benyamin Netanyahou a promis de se remettre au chantier de la réforme de la branche judiciaire, un changement de fond de l’identité de l’Etat qui jette le pays dans le chaos depuis cinq mois.