Syndicats et responsables politiques unis
La mobilisation, qui dure depuis douze semaines déjà, s'était encore renforcée. Elle avait franchi une nouvelle étape dimanche soir, après le limogeage de Yoav Gallant, le ministre de la Défense, pourtant un proche de Benyamin Netanyahou, qui avait demandé le gel de la réforme face à la montée de la contestation. Moins d’une heure après l’annonce, vers 22 heures, des dizaines de milliers d’Israéliens s’étaient déjà rassemblés un peu partout dans le pays, bloquant notamment le périphérique de Tel-Aviv et marchant vers la Knesset, le parlement israélien, à Jérusalem. Syndicats et responsables politiques locaux se sont peu à peu joints au mouvement, jusqu’à la paralysie, lundi, d’une partie du pays.
Début janvier, à l’annonce de la réforme qui vise à affaiblir considérablement le pouvoir des juges et qui menace l’équilibre des pouvoirs en Israël, les manifestations ont commencé à Tel-Aviv, bastion de l’élite libérale du pays, à l’appel de plusieurs mouvements de la société civile. L’opposition politique n’y est pas vraiment conviée, ses dirigeants participent à titre individuel, se fondant dans la foule. Aujourd’hui encore, «les médias essaient d’identifier des chefs de file de cette mobilisation, mais il n’y a pas de leaders. Ces manifestations sont à la fois décentralisées et très bien coordonnées», note Gideon Rahat, chercheur à l’Israel Democracy Institute. «Les rassemblements sont principalement organisés via des milliers de groupes sur WhatsApp et Telegram», explique Josh Drill, porte-parole du Mouvement des parapluies, l’une des organisations qui mobilisent pour les manifestations.
Les protestations ont rapidement pris de l’ampleur, jusqu’à réunir plus de 200 000 participants, rien qu’à Tel-Aviv, le samedi 25 mars. Elles sont d’abord organisées après la fin de sabbat, le jour de repos hebdomadaire juif, puis deux à trois fois par semaine. Le mouvement brasse large: autour des slogans contre la réforme de la justice et pour «sauver la démocratie israélienne», se réunissent des gens qui, «pour certains vont mettre en avant l’extrémisme du gouvernement, qui pour d’autres vont s’en prendre à l’occupation [israélienne des territoires palestiniens]. On trouve des gens de droite dans les manifestations, parfois des colons… Chacun a son propre agenda», explique Gideon Rahat.
Colère du high-tech
En face, le gouvernement s'est vu contraint de marquer un temps d'arrêt. La majorité avait toutefois refusé, mi-mars, la proposition alternative d’Isaac Herzog, le président israélien, qui s’alarme de la montée des divisions. A l’étranger, l’image d’Israël menace de s’éroder, mettent en garde des responsables politiques et économiques. Les entreprises du high-tech s’inquiètent et rejoignent le mouvement en organisant plusieurs manifestations, des grèves et menaçant de transférer leurs capitaux à l’étranger. Ils donnent une visibilité nouvelle au mouvement. Au Ministère des finances, la semaine dernière, les fonctionnaires pointaient les conséquences d’une possible diminution des recettes fiscales et d’une baisse de la croissance si le gouvernement s’entêtait à poursuivre la réforme…
Une autre fronde, inédite, fin février, a fait aussi basculer le mouvement. Des centaines de réservistes, dont des pilotes de l’air, refusent de servir pour des exercices ou des missions non urgentes. Les services de sécurité et d’anciens chefs d’Etat-major tirent la sonnette d’alarme. C’est ce qui pousse Yoav Gallant à demander le gel de la réforme, samedi 25 mars: «Le fossé qui croît au sein de notre société infiltre les forces de défense israéliennes et les agences de sécurité. Cela constitue une menace claire, immédiate et tangible à la sécurité de l’Etat.»
Ces trois derniers jours, la contestation s’est aussi alimentée des hésitations de certains membres du Likoud, le parti de Benyamin Netanyahou, qui ont peur de perdre une part de leur électorat. Lundi matin, Haim Bibas, le maire de Modi’in, dans le centre du pays, président de la Fédération des autorités locales, a annoncé qu’il appelait les représentants locaux à se joindre à la grève. Pour le premier ministre, qui a toujours fait de son parti – qu’il tient d’une main de fer – un instrument au service de ses ambitions politiques, le danger réside surtout là: dans la défection de ceux qui lui ont toujours été loyaux.