Publicité

L’attaque chimique qui fait capituler la Ghouta

L’utilisation de gaz toxique a causé des dizaines de morts près de Damas. Elle met fin à l’opposition dans la zone rebelle

Le gouvernement syrien a intensifié ses attaques aériennes contre la ville de Douma, dernier bastion rebelle dans l’est de la Ghouta. — © Casques blancs syriens via AP
Le gouvernement syrien a intensifié ses attaques aériennes contre la ville de Douma, dernier bastion rebelle dans l’est de la Ghouta. — © Casques blancs syriens via AP

Lâché d’un avion, le cylindre a perforé le toit avant de pénétrer dans le bâtiment. Utilisé en plein air, le chlore est certes un gaz effrayant et parfois mortel, mais il reste relativement peu efficace. Il en va autrement à l’intérieur d’un immeuble, dans lequel s’entassent des dizaines de personnes, toutes portes et fenêtres fermées pour tenter de se protéger des bombardements. Au moins deux attaques de cette nature ont eu lieu samedi soir dans la ville de Douma, la dernière poche aux mains de l’opposition syrienne dans la Ghouta orientale, à l’est de la capitale, Damas. Bilan: entre 40 et 80 morts selon les secouristes, et plusieurs centaines de blessés, même s’il reste difficile d’établir le nombre de victimes tuées sous les décombres et celles dont la mort a été directement provoquée par le gaz toxique.

Le conflit le plus documenté de l'histoire

Le conflit syrien est le plus documenté de l’histoire. Et le massacre de samedi n’a pas dérogé à la règle: les images montrent les morts, dans l’escalier et les pièces de l’immeuble, surtout des femmes et des enfants, la bouche et le nez recouverts de mousse. Dans ce qui tient lieu d’hôpital, d’autres enfants, respirant à grand-peine sous les efforts des sauveteurs ou déjà asphyxiés, comme figés par les effets du chlore et alignés sans vie. Dans la rue, enfin, encore des victimes, placées à même le sol, presque en tas, et aspergées à grands jets d’eau pour éviter la contamination.

Lire également notre éditorial:  A la Ghouta, les mots de trop

Le chlore n’est pas inclus dans la liste des agents chimiques dont Damas avait été sommé de détruire ses stocks à la suite d’une tuerie dans cette même Ghouta, en 2013, qui avait causé des centaines de morts. Les symptômes montrés par les victimes semblent toutefois pointer vers l’utilisation d’un mélange d'une bombe au chlore avec du gaz sarin, dont la Syrie était censée se débarrasser sous la supervision de la Russie.

Réprobation internationale

Du président Donald Trump au pape François, cette nouvelle attaque chimique a suscité une vive réprobation internationale. Mais aussi les sarcasmes du régime syrien de Bachar el-Assad à propos de laquelle l’agence de presse officielle, Sana, évoquait une habituelle «rengaine ennuyeuse». Alliés à la Syrie, la Russie et l’Iran, eux aussi, remettaient une fois de plus en question la véracité de cette attaque, alléguant un «complot» et un montage créé de toutes pièces par les Casques blancs, l’organisation qui retire quotidiennement des décombres les victimes des bombardements.

Lire aussi:  Dans la Ghouta orientale, «même les animaux ont disparu des rues»

Bon nombre d’attaques chimiques de ce type, au chlore ou au gaz sarin, ont déjà été confirmées dans les zones rebelles ces derniers mois, y compris dans la Ghouta orientale. Interrogé sur les télévisions américaines, Thomas Bossert, le responsable de la sécurité intérieure, s’étonnait: «Ce qui me frappe, c’est le fait que cela se produit juste lors de l’anniversaire de notre dernière action, lorsqu’ils avaient fait l’erreur d’utiliser ces armes et qu’ils avaient énervé le reste du monde.» Il y a un an, pratiquement jour pour jour, les Etats-Unis avaient lancé une série de missiles Tomahawk sur une base militaire syrienne, à moitié déserte, à la suite d’une attaque au gaz sur le village de Khan Cheikoun.

Retournement stratégique complet

Ce week-end, le président américain a menacé Damas de lui faire payer «le prix fort» pour cette nouvelle attaque. Comme rarement jusqu’ici, il a aussi directement pointé du doigt la Russie de Vladimir Poutine, accusée par Donald Trump de soutenir «l’animal Assad». En un an, pourtant, la situation a changé en Syrie pour les Etats-Unis. Le président américain annonçait récemment sa décision de retirer ses troupes de ce pays «dans les six mois», semblant prendre acte de la victoire quasi complète de l’axe Damas-Moscou-Téhéran, et assumant ainsi un retournement stratégique complet.

Lire également:  En Syrie, une guerre presque mondiale

La France, de son côté, a exprimé son «extrême préoccupation». Alors que le président Emmanuel Macron, reprenant à son compte une formule de Barack Obama, avait fait de l’utilisation de gaz chimiques une «ligne rouge», Paris entend encore «vérifier la réalité et la nature» de ces frappes.

Capitulation

La semaine dernière, par l’entremise de la Russie, le régime de Damas avait tenté d’arracher la reddition des derniers combattants de la Ghouta orientale, après que l’aviation russe et syrienne eut réduit en cendres une bonne partie de cette zone périphérique de Damas. Les négociations avaient cependant capoté jeudi, et un nouveau déluge de feu – au moins 400 raids aériens – s’est abattu depuis lors sur ses habitants, qui seraient encore environ 100 000 à y être retranchés, après que des dizaines de milliers d’autres ont subi un déplacement forcé.

Lire aussi l'opinion:  La Ghouta: un massacre aux yeux du monde

Dimanche, les deux camps annonçaient pourtant que la milice de Jaish al-Islam, qui contrôlait la ville de Douma, avait fini par capituler. Ses combattants seront expulsés vers le nord de la Syrie. En un tournemain, les bombardements à l’arme chimique auront accompli leur mission.