Au Liban, un passage partiel et chaotique à l’heure d’été accentue encore davantage les divisions
polémique
Officiellement retardé d’un mois par le gouvernement à la dernière minute, le changement d’heure a tout de même été effectué dimanche par de nombreuses institutions libanaises

Le Liban, déjà plongé dans une profonde crise politique et économique, s’est réveillé dimanche divisé autour du changement d’heure. Une partie du pays refuse de se plier à la décision du gouvernement de retarder d’un mois le passage à l’heure d’été.
Le gouvernement démissionnaire de Najib Mikati a pris cette décision jeudi, sans en donner la raison, deux jours avant le passage prévu à l’heure d’été comme tous les derniers dimanches du mois de mars. Cette mesure a été interprétée comme visant à raccourcir la journée de jeûne du mois musulman du ramadan, qui a commencé jeudi, provoquant la colère des responsables politiques et religieux chrétiens.
L’heure d’été sur les téléphones et dans les médias
Le patriarcat maronite, la communauté chrétienne la plus puissante au Liban, a dénoncé une décision «prise sans concertation» et annoncé qu’il ne s’y conformerait pas. Le patriarcat «a pris cette position pour ne pas accentuer l’isolement du Liban», a expliqué à l’AFP son porte-parole, Walid Ghayad.
La décision a provoqué des perturbations des vols internationaux ou des institutions liées à l’étranger, de nombreux pays étant passés à l’heure d’été dimanche. La compagnie aérienne nationale, la Middle East Airlines, a annoncé qu’elle «avançait d’une heure les horaires des vols prévus» à partir de Beyrouth. Le puissant réseau des écoles catholiques a indiqué que ses établissements suivraient l’heure d’été à partir de lundi.
De nombreux utilisateurs de téléphones portables et d’autres appareils électroniques qui changent d’heure automatiquement ont de leur côté constaté que leurs appareils avaient bel et bien passé à la nouvelle heure, car les opérateurs n’ont pas été informés du décalage à temps, rapporte la BBC.
Deux des plus grandes chaînes privées de télévision, la MTV et la LBCI, sont également passées dans la nuit de samedi à dimanche à l’heure d’été, expliquant que la décision du gouvernement aurait eu un impact sur leur fonctionnement. «Si l’Etat avait pris cette décision un mois à l’avance, et non 48 heures, il n’y aurait pas eu de problème», a déclaré à l’AFP le PDG de la LBCI, Pierre Daher, déplorant que l’affaire ait pris «une tournure confessionnelle».
«Une incurie révoltante»
Le principal journal francophone du pays, L’Orient- Le Jour, a également indiqué avoir changé d’heure, invoquant des problèmes techniques provoqués par l’annonce de dernière minute. Le média précise que la décision n’est «absolument pas de nature confessionnelle». Tout en convenant qu’elle avait tout de même un caractère «politique»: «nous refusons, alors que tous les habitants de ce pays […] sont confrontés à de lourds défis, de perdre du temps et de l’énergie pour implémenter une décision prise avec une légèreté et une incurie révoltantes, par des responsables politiques totalement déconnectés de la réalité du pays».
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Les deux principaux partis chrétiens, les Forces Libanaises et le Courant National Libre, se sont également élevés contre le choix du premier ministre Najib Mikati, qui dirige le pays depuis que le mandat du président de la République Michel Aoun, un chrétien maronite, a expiré il y a près de cinq mois. Le premier ministre démissionnaire, un musulman sunnite, n’a pas expliqué les raisons de sa décision.
Mais une vidéo qui a fuité sur les réseaux sociaux montre le président du parlement, Nabih Berri, un musulman chiite, lui demander de ne pas passer à l’heure d’été pour permettre aux personnes observant le jeûne du ramadan, qui dure du lever au coucher du soleil, de le rompre une heure plus tôt. L’affaire a provoqué une avalanche de commentaires satiriques sur les réseaux sociaux, un internaute se demandant même si «une nouvelle guerre civile» allait éclater en raison de ce conflit.
Selon plusieurs médias libanais, Najib Mikati aurait finalement convoqué une réunion du Conseil des ministres ce lundi à midi (ou 13 heures, selon l’heure choisie), pour discuter de ce décalage de l’heure d’été.
Dans les esprits, il semble que la dimension confessionnelle de la problématique semble déjà acquise. Samedi soir, dans un café de Beyrouth, un journaliste de l’agence Reuters a indiqué avoir entendu un client demander: «Suivrez-vous l’horloge chrétienne ou musulmane à partir de demain?»
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