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Mahmoud Abbas, dirigeant fantôme

Débordé par les affrontements entre le Hamas et Israël, le président de l’Autorité palestinienne s’accroche à un pouvoir qui ne lui confère pourtant aucune marge de manœuvre

Mahmoud Abbas lors d’une réunion du comité central du Fatah à Ramallah, le mercredi 12 mai. — © Majdi Mohammed / keystone-sda.ch
Mahmoud Abbas lors d’une réunion du comité central du Fatah à Ramallah, le mercredi 12 mai. — © Majdi Mohammed / keystone-sda.ch

Mahmoud Abbas finira-t-il par mordre la main qui le protège? Le président de l’Autorité palestinienne (AP), âgé de 84 ans, rompra-t-il la coopération sécuritaire avec Israël qui le maintient en place à la Mouqataa, son QG de Ramallah, pour s’unir au climat insurrectionnel qui s’est emparé de la rue arabe et palestinienne en Cisjordanie comme en Israël depuis une semaine? «Non, jamais, tranche net Dimitri Diliani, opposant de Mahmoud Abbas à l’intérieur du Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie. Même au pire des affrontements entre Israël et les Palestiniens, la coopération sécuritaire entre l’AP et Israël ne s’est jamais arrêtée.»

Le porte-parole du Courant démocratique et réformiste l’assure: «Abbas est détesté, il règne sur une AP corrompue qui accumule les défaites, avec une économie, un système éducatif et des services de santé en déroute complète. Il est maintenu en vie par la seule coopération sécuritaire [qui a déjà déjoué des complots internes au Fatah le visant, ou initiés par le Hamas, ndlr]. Mais contrairement au temps de Yasser Arafat, c’est une coopération complètement subordonnée à Israël.»

Nouveaux fronts

Bien que les dernières quarante-huit heures aient vu une décrue de la confrontation entre Israël et le Hamas et qu’un cessez-le-feu paraît envisageable avant la fin de semaine, les violences n’ont pas pour autant cessé. Un nouveau front se dessine au nord d’Israël, qui a été ciblé par six roquettes provenant du Liban. Des salves de roquettes ont été tirées depuis Gaza sur les villages israéliens frontaliers, faisant au moins deux morts. A Hébron, en Cisjordanie, un Palestinien est mort alors qu’il s’approchait d’un check-point israélien armé d’un couteau et porteur d’un engin explosif. Enfin, la frontière israélo-jordanienne a été le théâtre à la fois d’une incursion de trois hommes non identifiés et d’un drone d’origine inconnue, abattu par l’armée israélienne.

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Pour se mettre au diapason du Hamas et de la rue palestinienne, le président de l’Autorité palestinienne a appelé, le lundi 17 mai au soir et avec un retard remarqué, à se joindre aux manifestations du «jour de colère» décrétées pour le lendemain à Gaza, en Cisjordanie et dans les rues d’Israël. Ce même soir, les rues de Ramallah ont résonné à nouveau des cris des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, démantelées en 2006 et qui semblent se recomposer à l’occasion de cette crise.

Mais la démonstration de ces hommes cagoulés affiliés au Fatah n’a convaincu personne. «Ils n’ont même pas fait l’effort de prendre des kalachnikovs, l’arme insurrectionnelle par excellence, pour faire diversion», sourit Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes. Dans les vidéos publiées sur les réseaux sociaux, on remarque parmi eux la présence «de M-16, d’AR-15 et de M-4, uniquement des armes américaines», qui désignent de qui le pouvoir de Ramallah est véritablement dépendant. «On assiste à une sorte de mise en scène, analyse Wassim Nasr, parce qu’il faut bien que le Fatah occupe la rue. Mais c’est juste du folklore pour ne pas laisser la place au Hamas. S’ils avaient voulu faire quelque chose, les check-points israéliens n’étaient pas loin… Or ils se sont contentés de tirer en l’air.»

«C’est une soupape pour la population en colère, un peu d’action pour favoriser beaucoup d’immobilisme», résume l’expert. «Dans leur déclaration, ils ont précisé qu’ils ne tireraient pas sur leurs frères des Forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Mais derrière leurs cagoules, ce sont les mêmes personnes.» Ces Forces de sécurité ont d’ailleurs dispersé une manifestation de jeunes Palestiniens à Jénine le 11 mai dernier.

Elections reportées

Confiné dans la bande de Gaza, le Hamas était donné favori des élections législatives palestiniennes, qui auraient dû se tenir le 22 mai. Prétextant le refus d’Israël de laisser voter les 300 000 Palestiniens de Jérusalem-Est, Mahmoud Abbas a annulé ces élections, comme toutes les précédentes depuis 2006. Pas dupes, plusieurs centaines de manifestants sont alors descendus dans les rues de Ramallah. De son côté, Mohammed Dahlan, ancien chef de la sécurité de l’AP, a été empêché de se présenter face à Abbas par le Fatah, invoquant un «casier judiciaire chargé».

Pour l’opposant interne au Fatah Dimitri Diliani – lui-même proche de Mohammed Dahlan –, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa pourraient prendre part à ce qu’il promet d’être «une longue bataille contre l’occupation. Nous verrons dans les prochains jours s’il s’agit d’une action pour la galerie ou si cela nous amènera à un niveau supérieur» de confrontation avec Israël.

A ses yeux, la mobilisation de la rue en Cisjordanie reste pour l’instant moindre qu’en Israël à cause des peines encourues par les jeunes de ce territoire. Ceux-ci sont soumis à la justice militaire et à la détention administrative et risquent bien plus en cas d’arrestation. «Mais la colère s’accumule, et le jour où cela explosera, prédit Dimitri Diliani, ce ne sera bon ni pour Israël, ni pour Abbas.»

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