A Nabatieh, les dollars du Hezbollah adoucissent la crise
Liban
AbonnéDimanche, le Hezbollah a organisé les plus importantes manœuvres militaires depuis des années dans le sud du Liban. La «résistance contre Israël» n’est pourtant plus le seul facteur à unifier le tissu social derrière le parti pro-iranien

Dimanche, le Hezbollah a effectué ses plus importantes manœuvres militaires depuis des années pour marquer l’anniversaire du retrait des troupes israéliennes du Sud-Liban en mai 2000, après vingt-deux ans d’occupation. Etat dans l’Etat, le mouvement se maintient malgré la crise qui frappe le pays, non seulement pour la popularité de sa résistance contre Israël, mais aussi pour les avantages qu’il offre à ses partisans.
Nabatieh en est un exemple éclatant. La ville de 40 000 habitants n’est qu’à une heure et demie de route au sud de Beyrouth. Ses rues sont animées, ses commerces ouverts et les poubelles n’y débordent pas. Mais, éloignée de l’autoroute qui longe la mer et à 20 kilomètres de la frontière israélienne, elle est très isolée. Pourtant, sa situation économique est bien meilleure qu’ailleurs au Liban et même meilleure qu’avant la crise. C’est ce qui se dit dans le pays. «A Nabatieh, ça se voit que tout va bien. Dans les supermarchés, les hôpitaux, tout fonctionne. Ici, tout le monde a reçu de l’aide», affirme Saad, un pâtissier du vieux souk de la ville.
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Manœuvres militaires d’envergure
Il y a deux manières d’obtenir des dollars à Nabatieh: avoir de la famille en Afrique ou travailler pour le Hezbollah, qui paie en devises étrangères. La famille Nahle est dans le premier cas de figure. L’aîné de Mazen Nahle, le chef de la police municipale, a quitté le foyer familial, direction le Cameroun. Comptable, il y gagne 1500 dollars mensuels, logement fourni, contre l’équivalent de 200 en livres libanaises à Beyrouth. Suivant la voie de ses ancêtres, il a décidé d’émigrer. C’est que, tout au long du XXe siècle et surtout pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Libanais, et encore plus les chiites du sud, sont partis par dizaines de milliers en Afrique de l’Ouest, fuyant la crise économique et les pénuries. Le réseau d’émigration actuel s’est formé sur des générations. «Je ne voulais pas que mes enfants partent. Mais a-t-on le choix?» interroge Hana, la femme de Mazen, dans un français aux tonalités gabonaises. Elle-même a grandi à Libreville, son père travaillant là-bas. Aujourd’hui, «l’écrasante majorité des familles reçoit des dollars d’un ou de plusieurs proches qui travaillent en Afrique», ajoute-t-elle.
L’historien Ali Mazraani relève par ailleurs qu’un bon tiers des dollars circulant dans l’économie de cette petite ville provient directement du Hezbollah. «Salaire des combattants ou retraités, enseignants, médecins: tous les employés du parti sont payés entre 600 et 1000 dollars par mois, en devises étrangères. Ainsi, si les personnes qui travaillent pour l’Etat libanais gagnaient auparavant mieux leur vie, la dévaluation de la livre a complètement inversé les statuts», explique-t-il. Les salaires des institutions publiques sont en effet désormais dérisoires. Mazen touche l’équivalent de 90 dollars par mois comme chef de la police municipale. Mais même les fonctionnaires publics sont aidés par la présence du Hezbollah et de ses infrastructures sociales qui rendent la vie un peu plus confortable qu’ailleurs au Liban.
D’innombrables avantages
Ayant obtenu l’autorisation de s’exprimer de la part du Hezbollah, Mazen et sa femme, dûment surveillés, énumèrent les innombrables avantages qu’ils trouvent aux services sociaux du mouvement. Grâce à l’importation de médicaments syriens ou iraniens, ils peuvent se fournir pour le quart du prix habituel dans les pharmacies de l’organisation. Il y a aussi l’hôpital «de la résistance», qui facture la consultation, analyses comprises, 130 000 livres libanaises, soit 1,50 dollar, contre 20 à 30 dollars dans un hôpital privé.
Les institutions publiques sont, quant à elles, quasi absentes depuis des décennies. La dernière crise a fini par les achever. «Le parti a développé une application pour prendre rendez-vous tellement il y a de demandes. Les soins y sont excellents», souligne Hana, enthousiaste. Le Hezbollah possède aussi ses écoles, dont le réseau al-Mahdi, relativement réputé. Et si des jeunes dont la situation financière est compliquée veulent continuer leurs études dans des universités spécifiques, il existe un programme de bourses qui financent entre 60 à 70% de frais d’inscription dans des établissements privés. Ou les «cartes du Hezbollah» qui permettent de s’approvisionner en nourriture à moindres frais dans leurs supermarchés.
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«L’Etat libanais nous a lâchés»
Mais en plus des aides financières à proprement parler, toute une organisation sociale a été mise en place. Ici, l’électricité issue des générateurs est disponible quasiment sans interruption et se facture en fonction de la consommation, contrairement à Beyrouth où les mafias continuent de facturer des abonnements aux prix délirants, environ 100 dollars mensuels pour 5 ampères et avec de nombreuses coupures quotidiennes. Le couple cite également une bibliothèque scolaire qui permet aux écoliers d’emprunter les manuels gratuitement pour l’année, à condition qu’ils les rendent à la fin de l’année scolaire. «L’Etat libanais nous a lâchés. Alors, qu’est-ce qu’on a fait? On a choisi un «Etat» qui est bien meilleur», affirme Hana pour qui «tout le monde a le droit à ces aides. Même les opposants.»
Le prix à payer? Les personnes interviewées ne le diront pas. Dans la rue, le «garde» ne nous aura pas quittés d’une semelle. Pourtant, l’intellectuel qui requiert l’anonymat parle de «2500 jeunes de Nabatieh ayant combattu ou participé à la logistique pour le parti en Syrie. Soit environ un jeune homme par famille soutenant le Hezbollah.» En 2021, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du parti avait prévenu que son mouvement disposait de «100 000 combattants armés et entraînés», soit 40 000 de plus que l’armée libanaise. Un chiffre à prendre avec des pincettes. «Entre 2013 et 2019, il n’y avait presque plus d’hommes entre 18 et 25 ans à Nabatieh. Maintenant, ils sont revenus, se sont mariés, ont construit leur maison et fait des enfants», observe un Libanais qui préfère rester anonyme.
Le «Parti de Dieu» fragilisé
Des témoins ont également observé la présence de combattants du Hezbollah libanais dans la répression des manifestations l’automne passé en Iran. Des «martyrs», «morts au combat», il y en a une vingtaine selon la même source. Ainsi, si le «Parti de Dieu», créé en 1982 sous l’impulsion des Gardiens de la révolution iraniens, est devenu l’un des poids lourds de la politique libanaise et que son candidat, Sleiman Frangieh, était donné favori pour reprendre la présidence, le parti a été fragilisé ces dernières années par son soutien militaire au régime de Bachar el-Assad, qui n’est pas populaire, et son rôle dans la répression de la «thawra», les manifestations qui ont mené à la démission du gouvernement Hariri en octobre 2019. Sans citer l’assassinat resté impuni de l’intellectuel chiite et fervent opposant au Hezbollah Lokman Slim en février 2021. Ce dernier a été abattu de six balles alors qu’il circulait à bord de sa voiture dans les environs de Nabatieh deux semaines après avoir révélé que des quantités de nitrate d’ammonium stocké dans le port de Beyrouth avaient été utilisées par le régime syrien pour larguer des barils explosifs sur les zones rebelles au plus fort de la guerre en Syrie. Plus de deux ans après sa mort, aucune réponse n’a été apportée malgré les lourds soupçons qui pèsent sur le «Parti de Dieu».