Najeeb Michaeel, archevêque irakien: «A Mossoul, ce sont les musulmans qui ont préparé la venue du pape François»
Entretien
AbonnéL’archevêque chaldéen de Mossoul, Najeeb Michaeel, s’apprête à recevoir le souverain pontife. Il détaille pour «Le Temps» les immenses espoirs que soulève cette visite

Archevêque chaldéen de Mossoul, Najeeb Michaeel se prépare à accueillir le pape François dans sa ville, détruite après que l’organisation Etat islamique (Daech) la proclame sa «capitale» entre 2014 et 2017. Le prélat, qui a passé une année en résidence chez les dominicains à Fribourg, est surtout mondialement connu pour avoir organisé l’évacuation des chrétiens face à l’arrivée de l’Etat islamique et pour avoir mis à l’abri des centaines de manuscrits, datant pour certains du XIIIe siècle. Voilà deux mois qu’il prépare à Mossoul cette visite papale.
Le Temps: Quelle signification revêt pour vous la venue du pape François?
Najeeb Michaeel: C’est un événement unique. A part quelques précédents récents en Israël ou en Jordanie, aucun pape n’était venu dans la région, et plus spécifiquement en Mésopotamie depuis Saint-Pierre, ou peu s’en faut. Cette première en Irak a une portée très importante, non seulement pour les chrétiens mais aussi pour toute la population. Les musulmans, les yézidis, les sabéens… chacun attend cette venue avec impatience! Et chacun rêve de recevoir ce qui nous manque à tous ici, soit la paix et le sens de l’unité entre les différentes fractions de ce peuple.
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L’unité, vraiment?
François va se rendre par exemple à Ur (actuellement Tell al-Muqayyar) le lieu d’origine d’Abraham où se réunissent non seulement les trois religions monothéistes – et donc chez les musulmans aussi bien les chiites que les sunnites – mais aussi les religions plus anciennes, les zoroastriens, les yézidis, les sabéens-mandéens… Cette seule présence dans le berceau d’Abraham a déjà une signification très grande, pour l’Irak et pour le monde. C’est une manière de briser un peu les remparts qui nous séparent. La rencontre prévue avec Ali al-Sistani, à Najaf, représente aussi la volonté de s’approcher de cette partie de l’islam, tandis que la présence chiite fait bouillonner la région. En tendant la main au grand ayatollah, le pape fait ce qu’il avait déjà accompli du côté sunnite, en voyant Ahmed el-Tayyeb, l’imam de la mosquée Al-Azhar, au Caire.
Mais le pape vient-il avec des revendications plus politiques à l’égard des chrétiens?
Cette visite a été précédée d’une préparation extraordinaire. Des rencontres, des séminaires, des conférences internationales se déroulent pour évoquer l’histoire et la présence de la chrétienté, son avenir, la culture qui nous réunit en Orient, la complémentarité des uns et des autres. En rencontrant ensuite les hauts responsables du pays, le président et le premier ministre irakiens, les autorités kurdes, cela adresse aussi un message de loi et de droit. En Irak, la loi est, disons, un peu boiteuse en ce qui concerne les chrétiens. Il règne toujours cette idée qu’ils peuvent rester des citoyens de deuxième zone. La présence du Saint-Père donnera une force non seulement aux chrétiens mais aussi à l’Etat pour les faire exister comme des citoyens de plein droit.
Mossoul, c’est le berceau des prophètes, tel Jonas, et Ninive a été la dernière capitale de l’empire assidien, avec la langue araméenne
C’est le pape François qui vous a nommé archevêque. Quel effet cela fera-t-il de le recevoir à Mossoul?
Mossoul, c’est le berceau des prophètes, tel Jonas, et Ninive a été la dernière capitale de l’empire assidien, avec la langue araméenne. Une histoire qui a été bafouée et détruite par Daech en 2014. Venir célébrer la messe dans les décombres du quartier le plus ancien de la rive droite du Tigre, c’est un message extraordinaire! En venant ici, le pape nous dit: «Ce que Daech a démoli, nous pouvons le rebâtir, tous ensemble, main dans la main.»
Je vous assure, tous les jours, lorsque nous préparons cette venue, que nous aménageons les lieux, il est difficile de ne pas être saisi par la désolation. Le Saint-Père viendra sur ce que nous appelons Hosh al-Bieaa, l’Esplanade des églises. Or elle a été entièrement démolie. Il n’y a pas une église à Mossoul qui n’ait été pillée, éventrée, détruite, parfois brûlée. Pour mon seul diocèse chaldéen, les 14 églises ont été démolies, ainsi que quatre monastères, alors que certains remontent au IVe ou Ve siècle.
Aujourd’hui, nous allons donc rebâtir avec entrain. Les pierres peuvent être détruites, mais pas l’homme, s’il est de bonne volonté. Grâce à des ONG et des donations, nous allons démarrer bientôt la rénovation de trois églises. Tout le monde veut revenir et reconstruire l’esprit de Mossoul.
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Le pensez-vous vraiment, ou ce ne sont là que de belles paroles?
Pour les musulmans, ce sera aussi un message très fort. Le Saint-Père n’est pas seulement un responsable politique, il est également un leader spirituel. Depuis deux mois, 90% de la préparation de cette visite est faite par les musulmans. Ce sont eux qui nettoient nos églises: des jeunes bénévoles, des vieillards, des hadjis (ceux qui ont fait le pèlerinage à La Mecque) déblaient aujourd’hui les débris, pelle à la main. Imaginez un peu: le maire lui-même est sur place, pour diriger les travaux, pour arranger, pour goudronner les rues. Des amis musulmans me disent en riant: «Voyez, le premier miracle de cette visite a déjà eu lieu: on nous a installé l’électricité!»
Le siège sur lequel s’assiéra le Saint-Père a été offert par un musulman. De même, c’est un jeune musulman qui est en train de réaliser une pierre taillée sur laquelle sera déposée la plaque qui restera comme le symbole de cette visite. Autant de symboles forts, non?
A Mossoul, comment se passera la visite du point de vue pratique?
Il viendra d’Erbil en hélicoptère, puisque l’aéroport, ici, est encore détruit. En tant qu’archevêque, je l’accueillerai dans une base militaire, puis un cortège de voitures va sillonner la ville et traverser le Tigre vers Hosh al-Bieaa. Il s’y déroulera une prière et une petite allocution, puis le pape bénira la plaque dont je vous parlais et lâchera une colombe pour la paix. En papamobile, il va ensuite parcourir les ruelles pour avoir un aperçu des ruines et des églises détruites.
Notre tête est très dure, elle ne se casse jamais. Nous voulons, en tant que chrétiens, rester dans ce pays
Cette organisation a dû être un vrai casse-tête.
Notre tête est très dure, elle ne se casse jamais. Et encore moins notre détermination! Nous voulons, en tant que chrétiens, rester dans ce pays. C’est notre origine, là où nous sommes nés, là où nous avons appris l’araméen, ainsi que la liturgie de saint Thomas, et celle des moines qui ont vécu ici, avec beaucoup de souffrance, dès le Ier siècle. Nous voulons garder la flamme allumée pour les générations à venir.
Il n’y a aujourd’hui que très peu de chrétiens. Nous sommes passés de 6000 familles à 60. Beaucoup de ceux qui étaient partis sont revenus dans la plaine de Ninive, mais à Mossoul même les conditions ne sont pas réunies sur le plan de la sécurité, et de la psychologie. Nous avons ici un proverbe qui dit: «Celui qui a été mordu par un serpent tremble devant une corde.» Les gens sont traumatisés et, de plus, tout n’est pas encore réglé pour les chrétiens, à l’heure d’obtenir un emploi ou des droits. On sent encore un «esprit de Daech» dans l’idéologie. Daech n’est pas dans les vêtements ou dans les barbes. Il est dans les têtes.
Vous craignez donc un retour de Daech?
Ce que l’on voit aujourd’hui, ce ne sont que les prémices de la violence qui existait à l’époque dans le cœur et dans la tête des gens. Malheureusement, des forces internationales et régionales font en sorte que l’Irak ne trouve pas la paix et télécommandent des milices ou des groupes fanatiques sur place. Le risque existe donc. La corruption ronge aussi les responsables, au sein du parlement, du gouvernement, de l’administration. La corruption est devenue plus dangereuse que le Covid-19. Il faudra des décennies pour la guérir. Il faut changer le matériel scolaire, encourager les cours de religion en général plutôt que de s’en tenir à sa seule confession. Des gens de bonne volonté travaillent à cela. J’ai beaucoup d’espoir que l’avenir sera meilleur, mille fois meilleur que ce que nous vivons maintenant.