Benyamin Netanyahou est le premier chef de gouvernement israélien en exercice à faire face aux juges. Jusqu’au bout, il a tenté de s’y soustraire. Le vieux briscard de la politique a d’abord cherché à s’assurer l’immunité en faisant voter une loi à la Knesset. Faute de majorité, il a fait repousser son procès pour cause de Covid-19 puis tenté de négocier pour se faire représenter à la première audience, utilisant encore une fois le prétexte du coronavirus pour se dérober au regard humiliant des caméras. Mais rien n’y a fait.
Lire également: Annexion de la Cisjordanie: les «vérités» de Benyamin Netanyahou
Champagne, bijoux et cigares de luxe
Hier s’est donc ouvert le procès du premier ministre, une semaine exactement après qu’il a été officiellement reconduit à son poste à la faveur d’un accord de gouvernement d’union nationale. Netanyahou est mis en examen dans trois affaires différentes, aux énigmatiques noms de code à quatre chiffres et aux complexes ramifications.
Le premier, le dossier 1000, se penche sur les caisses de champagne, bijoux et cigares de luxe livrés à Benyamin Netanyahou par deux hommes d’affaires. Le principal intéressé évoque des cadeaux entre amis mais les juges le soupçonnent d’avoir utilisé sa fonction publique pour «payer» ses bienfaiteurs en retour.
Dans les deux autres dossiers, 2000 et 4000, Netanyahou est accusé d’avoir accordé ou proposé des faveurs à des patrons de presse en échange d’une couverture favorable dans les journaux sous leur contrôle.
Au-delà du procès, retentissant par son aspect inédit, et les accusations, graves, de corruption et fraude, à voir les centaines de manifestants rassemblés hier sous les fenêtres du tribunal, à Jérusalem, drapeaux blancs estampillés de l’étoile bleue de David et sono à fond pour perturber l’audience, on comprend que l’enjeu est ailleurs. Les attaques répétées du premier ministre contre le système judiciaire ont laissé des traces.
«Une guerre entre la droite et la gauche»
«Nous sommes en colère, c’est comme si on nous avait volé nos votes!» s’exclame Shoshana Idassis, masque de protection transparent attaché à son front. Comme elle, la foule est furieuse contre «les gauchistes, les juges» qui «essaient de détruire Bibi», le surnom de Netanyahou. «Ils n’ont pas réussi à le vaincre dans les urnes alors ils cherchent à mettre en place un coup d’Etat», ajoute-t-elle. Yoram, à côté, venu exprès de Petah Tikvah, à une heure de là, résume, lapidaire: «C’est une guerre entre la droite et la gauche.»
Devant la résidence du premier ministre, d’autres manifestants, eux, dénoncent un pouvoir corrompu, drapeau noir à la main, en signe de deuil pour la démocratie israélienne. Beaucoup en Israël accueillent le procès comme un test: «S’il va jusqu’à son terme, si tout se déroule selon les règles, alors on pourra dire qu’Israël reste, au moins sur le plan des institutions, une démocratie libérale», observe Dahlia Scheindlin, analyste politique qui a travaillé en tant que consultante sur plusieurs campagnes électorales dans le pays. Mais, «après plus d’une décennie d’attaques contre le système judiciaire, qui se sont intensifiées sous Netanyahou, l’environnement en Israël n’est pas celui d’une démocratie», ajoute la chercheuse.
Bien des choses peuvent encore se produire d’ici à la fin du procès, qui pourrait durer des années. Dimanche, après une courte audience, les juges ont d’ailleurs ajourné au 19 juillet la prochaine séance. Seuls les avocats y assisteront.
Le premier ministre n’est pas tenu de démissionner tant que tous les recours n’ont pas été épuisés. Mais en Israël, le pouvoir ne protège pas contre la prison. Sur le chemin le menant du Conseil des ministres au tribunal hier, Netanyahou a dû avoir en tête le précédent Ehud Olmert. L’ancien premier ministre a passé plus d’un an derrière les barreaux après avoir été condamné pour fraude et évasion fiscale en 2015.