Portant le voile lors d’une visite, l’ambassadrice de Suisse en Iran suscite la colère
Alors que le mouvement de contestation des règles imposées aux femmes en Iran fait l’objet d’une répression violente, Nadine Oliveri Lozano s’est montrée en public vêtue d’un tchador. Une action accusée de légitimer le régime islamique

Nadine Oliveri Lozano en compagnie de religieux, vêtue d’un tchador, le voile traditionnel iranien, se rendant dans un important sanctuaire chiite à Qom, au sud de Téhéran. L’image de cette visite, qui s’est déroulée alors que le régime iranien réprime dans la violence depuis la mi-septembre un important mouvement de contestation dont le slogan – «femmes, vie, liberté» – s’oppose précisément aux obligations vestimentaires faites aux femmes, a rapidement enflammé les réseaux sociaux.
Tandis qu’au moins 76 femmes sont tuées par le régime islamique pour avoir scandé femme, vie, liberté et pour avoir dit non au voile obligatoire, Madame Nadine Olivieri Lozano l’ambassadrice suisse en Iran visite en Tchador un mausolée à Qom. pic.twitter.com/hLTgR34awu
— lettres de Teheran (@LettresTeheran) 22 février 2023
Nadine Oliveri Lozano légitime la brutalité de la République islamique, estime dans le Blick Saghi Gholi cofondatrice du mouvement Free Iran Switzerland: «Que l’ambassadrice suisse visite ce sanctuaire est tout simplement choquant», d’autant plus de par «le fait qu’elle se présente en tchador alors que des milliers de femmes se battent pour pouvoir retirer leur foulard». Selon l’ONU, quelque 15 000 manifestantes et manifestants ont déjà été arrêtés, parfois torturés. Plusieurs personnes ont été tuées et condamnées à mort.
While girls and women in Iran are getting beaten, jailed, shot in the eye & even killed for shouting ‘#woman_life_freedom’ and saying no to mandatory hijab, Swiss ambassador to Tehran wears ‘Chador’ over her compulsory hijab to please the Iranian establishment #MahsaAmini pic.twitter.com/Zj6lGm3dh7
— Maryam Moqaddam مریم مقدم (@MaryamMoqaddam) 22 février 2023
Le respect du «protocole vestimentaire en vigueur»
Contacté par la RTS, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) indique que «lors de la visite du site religieux, le protocole vestimentaire en vigueur pour les femmes a été respecté», ajoutant que «le dialogue interreligieux revêt une grande importance dans le contexte actuel». Le DFAE précise également que «la Suisse prend clairement et à plusieurs reprises position sur les violations des droits de l’homme en Iran».
Lire aussi: «En Iran, les exactions du régime durent depuis quarante-quatre ans»
Cette nouvelle controverse intervient dans un climat de tensions autour de l’action de la diplomatie helvétique en Iran – où elle représente notamment les intérêts des Etats-Unis dans le cadre de sa politique des bons offices. Alain Berset s’était en effet retrouvé sous le feu des critiques il y a quelques jours, lorsqu’il avait été révélé que le président de la Confédération avait envoyé un message de félicitations officiel à la Téhéran à l’occasion du 44e anniversaire de la République islamique, le 11 février dernier. Une initiative qualifiée de «honteuse» et d'«insulte aux victimes» par plusieurs parlementaires fédéraux, ainsi que des associations suisses de soutien à la contestation en Iran. Alain Berset avait répliqué que le message avait été «modifié pour insister sur l’importance, pour la Suisse, du respect des droits humains», et était en outre conforme aux «usages diplomatiques».
Lire la lettre ouverte du collectif «Femme, vie, liberté»: Les «bons vœux» de la Suisse à la République islamique d’Iran, une insulte aux victimes
Le souvenir de Micheline Calmy-Rey en 2008
Cette affaire, tout comme la réaction des autorités suisses à celle-ci, fait écho aux critiques qu’avait déjà suscitées, en 2008, la visite officielle de la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey en Iran. La ministre des Affaires étrangères avait à l’époque été photographiée tout sourire, portant un foulard sur les cheveux, lors d’une rencontre avec le président Mahmoud Ahmadinejad, suscitant nombre de réactions indignées, issues de tout bord politique. La socialiste avait alors balayé les critiques: «Ce n’est pas un signe de soumission. C’est le respect des coutumes d’un pays qui invite.»
Quinze ans plus tard, le contexte est bien différent, la révolte est aujourd’hui spécifiquement dirigée contre l’obligation du port du voile. La vague de protestations contre le régime a en effet éclaté à la suite de la mort en captivité de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022. La jeune femme de 22 ans avait été arrêtée trois jours plus tôt par la police des mœurs pour avoir prétendument enfreint le code vestimentaire strict des femmes.
Micheline Calmy-Rey elle-même semble avoir conscience que les temps ont changé: l’ancienne conseillère fédérale a participé en octobre dernier à une action collective en soutien aux femmes iraniennes, se filmant en train de se couper une mèche de cheveux.