«S’il vous plaît: laissez-nous sortir d’Alep. Il y a 47 enfants ici, et ce sont tous comme mes frères. Nous voulons partir pour pouvoir manger et boire. Nous avons peur.» Les enfants de cet orphelinat d’Alep-Est – que les images tournées par le directeur de l’établissement montraient habillés de pulls trop grands et de gros bonnets de laine – n’ont pas encore pu manger jeudi. Malgré leurs implorations, ils n’étaient pas dans le premier convoi qui a quitté les décombres de cette partie de la ville en direction d’Idlib, à l’Ouest, dans la région encore aux mains des groupes armés de l’opposition.

Une vingtaine d’autobus, chacun empli de 50 personnes, accompagnés d’une quinzaine d’ambulances et de quelques voitures privées: au total, ce sont plus d’un millier de personnes, dont quelque 200 combattants, mais aussi un tiers d’enfants qui ont pu s’éloigner d’Alep-Est. Sur place, des milliers d’autres attendaient leur tour, après que les armes se sont finalement tues dans la ville.

Accord de reddition

Après un premier échec la veille, cet accord de reddition a été conclu entre la Russie et les rebelles, grâce à l’intervention turque. Dans l’intervalle, l’Iran a aussi obtenu gain de cause en arrachant l’évacuation de quelque 1200 personnes de deux enclaves chiites, Foua et Kafraya, situées en territoire tenu par l’opposition. «Ce canal (turc) se révèle plus efficace que de traîner sans but pendant des mois avec nos collègues américains», s’est exclamé le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov en référence aux multiples rencontres qu’il a tenues avec son alter ego John Kerry, à Genève ou ailleurs.

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A Alep, où de nombreux habitants affirmaient sur les réseaux sociaux avoir passé la dernière nuit sans savoir s’ils étaient «morts ou vivants» dans l’attente de ce dénouement, il faudra faire vite. Il était question de poursuivre toute la nuit le va-et-vient des autobus pour éviter un possible mouvement de foule incontrôlable. La Russie s’est engagée à permettre l’évacuation des «militants» (pour combattants), et de leur famille, un nombre qu’elle estime à 5000. L’ONU, de son côté, se prépare à un départ dix fois plus important.

Evacuation «en trois volets»

C’est une évacuation «en trois volets», qui concerne les blessés et les malades, la population vulnérable et les combattants, affirmait à Genève Jan Egeland, l’adjoint de l’émissaire de l’ONU pour la Syrie. En regrettant de n’avoir été averti de l’existence de l’accord que le matin même, Egeland prenait soin de souligner jeudi que l’ONU n’était pas «partie prenante» de l’opération, dont elle se contentait de vérifier le bon déroulement. Par le passé, l’ONU avait été très sévère sur cette «stratégie» du régime consistant à déplacer la population au terme d’un siège implacable et après avoir mis à genoux les civils.

Jeudi, c’est le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui s’est chargé de vérifier que les quelques kilomètres de route qui séparent la ville d’Alep de la zone rebelle à l’Ouest étaient bien «sécurisés». Une fois arrivés au barrage des groupes rebelles, les Alépins devaient descendre des bus et poursuivre leur chemin à bord d’autres véhicules.

Vers d'autres camps?

Pour aller où? Jan Egeland confirmait la possibilité que la Turquie puisse bientôt monter des camps qui pourraient abriter «des centaines de milliers» de réfugiés, sans préciser si ces camps se trouveraient en Turquie même ou dans le nord de la Syrie, comme cela a parfois été évoqué. Et pour ceux qui choisiront de rester à Idlib? «J’ai peur de ce qui pourra arriver après que cette opération soit terminée», concédait le responsable de l’ONU.

La région d’Idlib est aujourd’hui contrôlée par une coalition rebelle dominée par le Front Fatah al-Cham, l’ancien Front Al-Nusra lié à Al-Qaïda. A l’instar d’Alep-Est avant que débute l’offensive terrestre de ces derniers jours, la ville d’Idlib a été soumise à de fréquents bombardements, qui ont visé systématiquement les hôpitaux et des marchés. La Russie a décrété un cessez-le-feu temporaire sur cette région afin de permettre l’évacuation de la population d’Alep-Est. Mais à de nombreuses reprises, le président syrien a juré de reprendre aux rebelles la totalité du pays. Après l’écrasement d’Alep, Idlib pourrait être la prochaine sur la liste. A condition toutefois que les alliés du régime syrien – la Russie, l’Iran et le Hezbollah – acceptent de soutenir Damas dans cette nouvelle offensive de reconquête.