Une entreprise suisse au chevet des silos libanais
Liban
AbonnéEmmanuel Durand, un Français basé à Genève, dirige l'entreprise Amann Engineering, laquelle est chargée de monitorer l’inclinaison des silos à grains partiellements détruits dans le port de Beyrouth
Deux semaines après la double explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, Emmanuel Durand s’est envolé vers le Liban pour former des étudiants libanais aux techniques d’analyse de structures. Deux ans plus tard, il revient sur son expérience et prédit de nouveaux effondrements.
Le Temps: Comment vous êtes-vous trouvé responsable de ces silos, qui sont aujourd’hui devenus le symbole, pour de nombreux Libanais, de l’incurie des dirigeants?
Emmanuel Durand: Un jour, après une mission de sauvetage, j’ai été invité à une cérémonie. Là, en discutant avec les officiels, je leur ai expliqué que mon réel métier était l’inspection des silos. Je leur ai proposé de les inspecter vu qu’ils avaient sûrement des problèmes d’inclinaison. Depuis, j’ai réalisé six voyages et passé cinq mois sur place. L’expérience humaine, technique et scientifique a vraiment été extraordinaire.
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Que vous disent les données en ce mercredi matin?
L’écroulement partiel de dimanche a été prédit par les capteurs. La zone avait donc été évacuée et les riverains prévenus. Mais l’effondrement à venir sera plus important. Aujourd’hui, les silos penchent de 2,6 degrés sur la verticale. C’est monstrueux. En comparaison, la tour de Pise est inclinée à 3,9 degrés. De plus, la vitesse de déplacement équivaut à 13 centimètres par heure. C’est-à-dire 30 centimètres par jour. Tout annonce le prochain effondrement.
Que craignez-vous le plus?
Les prochains silos peuvent s’effondrer dans une heure, dans deux jours, ou pendant les cérémonies du 4 août. L’incendie fait vraiment peur à tout le monde. Je crains de possibles mouvements de foule liés à la panique.
Comment mesurez-vous l’inclinaison?
Depuis le premier jour après l’explosion, les silos bougent. Depuis juillet l’année dernière, j’ai installé de nouveaux capteurs inclinomètres de l’entreprise Smartec, basée à Lugano. ETH Zurich a participé au financement des installations mais la majorité des dépenses viennent de fonds personnels.
Les familles des victimes considèrent que l’incendie arrange le gouvernement car cela favorise la destruction de ce symbole. Qu’en pensez-vous?
Après l’explosion, la majorité des grains s’est retrouvée à l’extérieur. Cette matière a, dans sa majeure partie, été enlevée. Le risque d’incendie lié à la fermentation était en effet connu des autorités dès septembre 2020. Mais les grains qui brûlent aujourd’hui n’étaient pas atteignables. Ils ne pouvaient pas être extraits sans mettre en danger la vie des travailleurs. D’un point de vue purement structurel, je recommanderais la consolidation de la partie sud des silos, qui ne bouge pas, et la démolition du bloc nord.