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«Je n’ai pas d’ennemis»

« Vingt ans ont passé [depuis ma première arrestation], mais les fantômes du 4 Juin [les événements de Tiananmen] ne sont pas enterrés. [… Mais] je n’ai pas d’ennemis et pas de haine. Aucun des policiers qui m’ont surveillé, puis arrêté et interrogé, aucun des procureurs qui m’ont accusé, aucun des juges qui m’ont jugé ne sont mes ennemis. Bien que je ne puisse en aucune manière admettre vos filatures, vos arrestations, vos accusations et vos verdicts, je respecte vos professions et votre intégrité, notamment celle des procureurs Zhang Rongge et Pan Xueqing qui montent actuellement un dossier contre moi pour le compte de l’accusation. Le 3 décembre, pendant l’interrogatoire, j’ai pu ressentir votre estime pour moi et votre bonne foi.

La haine peut pourrir l’intelligence et la conscience d’un homme. L’esprit d’inimitié empoisonne l’âme d’une nation, engendre des luttes cruelles et mortelles, détruit la tolérance et l’humanité d’une société. Cette mentalité empêche un pays de progresser vers la liberté et la démocratie. C’est pourquoi, quand j’observe le développement et le changement social en cours, j’espère réussir à surmonter mon passé et à contrecarrer l’hostilité du régime avec la meilleure volonté du monde, en dissipant la haine par de l’amour. […]

Je crois fermement que les progrès politiques en Chine ne vont pas cesser. Rempli d’optimisme, je me réjouis déjà de l’avènement d’une Chine libre. Car aucune force ne peut mettre un terme à la soif de liberté. Au bout du compte, la Chine sera gouvernée par la loi et les droits de l’homme régneront en majesté. J’espère aussi que ce progrès pourra se refléter dans mon procès. J’attends d’ailleurs un jugement impartial de la part du collège des juges – un jugement qui passera par l’épreuve de l’histoire.

Si je puis me permettre de le dire ainsi, la plus heureuse expérience de ces vingt dernières années a été l’amour absolu que j’ai reçu de ma femme, Liu Xia. […] Je veux te dire, ma très chère, que je crois très fortement que ton amour pour moi ne s’altérera d’aucune façon, comme il en a toujours été. Pendant toutes ces années sans liberté, notre amour a été rempli d’amertume, contraint par des circonstances extérieures, mais j’en savoure ses effluves, et le sais infini. […] Ton amour est un rayon de soleil qui bondit par-dessus les murs élevés et pénètre à travers les barreaux d’acier de ma fenêtre, caressant chaque once de ma peau, réchauffant chaque cellule de mon corps. Grâce à lui je reste en paix, l’esprit ouvert, le cœur léger, et chaque minute passée en prison se remplit de sens. […] »