Rien ne le prédestinait à devenir ambassadeur. Naim Malaj a fait de la prison au Kosovo pour délit d’opinion; il a été torturé par la police secrète, s’est réfugié en Suisse où il a fondé une famille, est devenu assistant social à Genève. Et puis, un jour, un coup de fil a changé sa vie. Pristina lui propose, peu après la proclamation de l’indépendance du Kosovo, de représenter son pays à Bruxelles. Interloqué, trouvant qu’il n’avait pas vraiment le profil du poste, Naim Malaj refuse. On lui propose le même statut à Berne. Là, il ne peut pas dire non.

Débutent alors les ennuis. A peine la nouvelle de sa nomination dans l’air, un journal kosovar insinue que la Suisse s’y opposait en raison d’activités politiques qu’il aurait menées, au sein de la diaspora, pour le compte de l’UÇK, l’Armée de libération du Kosovo. On le dit proche d’Hashim Thaçi, l’actuel premier ministre, qui pendant la guerre contre la Serbie en 1998-1999 était le chef de l’aile politique de l’UÇK, qui luttait contre le régime de Slobodan Milosevic.

«Les journalistes ont écrit que je faisais l’objet d’une procédure pénale ce qui est faux! Comment aurais-je pu travailler avec l’Ecole de formation de la police à Genève avec un casier judiciaire suspect?» souligne-t-il. Il a toujours nié avoir été un membre actif de la fondation Vendlindja Therret, connue pour avoir soutenu le Mouvement populaire du Kosovo et l’UÇK. Mais il concède qu’il lui a versé de l’argent, «comme beaucoup de Kosovars».

A deux pas du Palais fédéral

A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères, empêtré malgré lui dans la polémique, précise à l’époque que le Kosovo n’avait pas encore déposé de demande d’agrément officiel. Mais il admet que la nomination d’un binational – il a été naturalisé en 2004 – peut poser des problèmes sur le plan des immunités et des privilèges. Reste que Naim Malaj finira bien par présenter ses lettres de créance à Micheline Calmy-Rey comme chargé d’affaires, en janvier 2009. Puis comme ambassadeur, auprès de Hans-Rudolf Merz, en octobre dernier.

Aujourd’hui, le jeune ambassadeur de 42 ans préfère oublier ces turpitudes, alors qu’à Pristina certains le disent sur un siège éjectable. Il nous reçoit dans ses bureaux de 300 mètres carrés situés à deux pas du Palais fédéral. Fier de représenter les 200 000 Kosovars de Suisse, heureux de son nouveau statut. Il reste pourtant un chef de mission atypique: sans chauffeur ni domestique. «J’ai parfois encore de la peine à me rendre compte que je suis devenu ambassadeur», glisse-t-il en riant. «L’autre jour, ça m’a fait tout drôle, lorsque je me rendais à la réception du 14 Juillet de l’ambassade de France, de passer devant les anciens locaux de l’Office fédéral des réfugiés, où j’ai été plusieurs fois auditionné.»

Il fait une chaleur étouffante dans son bureau. Mais Naim Malaj fourmille d’idées. Il veut créer une fondation, financée par la diaspora, pour permettre l’octroi de bourses d’études à de jeunes Kosovars souhaitant venir en Suisse. Il veut aussi créer un prix, pour remercier les autorités suisses de ce qu’elles ont entrepris pour le Kosovo. Et faire un film sur les premiers Kosovars arrivés, il y a 45 ans. «Contrairement à ce que l’on pense, la plupart ne sont pas venus à cause de la guerre mais bien avant, comme saisonniers.»

Lui-même est arrivé en Suisse en 1990 comme requérant; il obtient l’asile deux ans et demi plus tard. Son père, venu comme saisonnier, y était déjà, depuis la fin des années 70. Un frère, aussi. Aujourd’hui, ses parents, ses deux frères et ses deux sœurs se trouvent tous en Suisse.

Naim Malaj a fui son pays après avoir purgé deux peines de prison, de 1984 à 1988. Il avait osé lutter pour la cause nationaliste albanaise. «Il suffisait d’avoir lu Ismail Kadaré pour être considéré comme subversif. Mon nom de famille était déjà politiquement connoté.» A tel point d’ailleurs que lorsque, à 12 ans, il veut fréquenter l’école secondaire de sa ville, la police le lui interdit. Il doit alors s’inscrire en douce à Pristina. «Mon premier exil forcé.»

Le bruit des pas et des clés

Ses années de prison comme mineur – il avait 16 ans – l’ont marqué. De sa voix monocorde mais douce, il évoque les tortures, psychiques et physiques, infligées par la police secrète. Il se rappelle du bruit des pas des gardiens dans les couloirs, de celui des trousseaux de clés. Il en a parfois encore des cauchemars.

La majorité de sa famille a fait de la prison pour avoir milité pour la cause albanaise C’est le cas notamment de son oncle, Rexhep Malaj, tué par la police serbe en 1984. Il est aujourd’hui considéré comme un héros de la guérilla kosovare. La mère de Naim, elle, s’est retrouvée en cellule parce qu’elle avait utilisé un faux passeport pour rendre visite à son mari en Suisse, «recherché comme un terroriste extrémiste».

Marié à une Albanaise de Tirana et père de deux filles, Naim Malaj tente aujourd’hui de remplir son nouveau rôle au mieux. Pas évident quand on sait qu’il gagnait bien plus comme assistant social à l’Université populaire de Genève et à l’Hospice général que comme ambassadeur…