Japon
Le gouvernement japonais a autorisé en septembre dernier les habitants de Naraha à retourner dans cette ville située à 15 kilomètres de Fukushima Daiichi. Un sur vingt a franchi le pas

A Naraha, la vie s’est arrêtée le 12 mars 2011. Le lendemain du tsunami, les 7800 habitants de cette ville située à une quinzaine de kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi l’ont fuie. Située à 230 km au nord de Tokyo, sur la côte est du Japon, Naraha a subi une triple catastrophe: le tremblement de terre, le raz-de-marée et l’accident nucléaire. Entre 120 et 130 maisons ont été détruites. Treize personnes ont perdu la vie. Quelque 6000 personnes ont été relogées à Iwaki, localité distante de 40 km au sud de Naraha. Les autres ont trouvé refuge dans différentes villes de la préfecture de Fukushima, voire dans d’autres régions de l’Archipel.
Cinq ans après la catastrophe, le trafic sur la route côtière qui relie Iwaki à Naraha est intense. Le ballet des camions et des utilitaires utilisés pour la reconstruction de la région dévastée du Tohoku est incessant. L’entrée dans Naraha porte encore les stigmates de l’accident nucléaire. Sur des terrains adjacents à la route principale, des centaines de sacs remplis de déchets radioactifs attendent d’être transférés vers des sites de stockage, qui doivent être construits à proximité de la centrale.
Une école en 2017
Les travaux se sont intensifiés après le 5 septembre dernier lorsque le gouvernement japonais a autorisé les anciens habitants de Naraha à revenir chez eux. Six mois après cette décision liée à une baisse des taux de radioactivité, 430 personnes ont franchi le pas, selon Yukiei Matsumoto, le maire de Naraha. En d’autres termes, à peine 5% de la population totale est revenue y vivre. Une atmosphère de ville abandonnée s’en dégage. Seuls des employés dans la construction et la décontamination sont visibles dans les rues de la ville. Les habitants semblent préférer rester chez eux. «Entre 60% et 70% des habitants revenus vivre à Naraha ont plus de 60 ans. Attirer des personnes plus jeunes, comme des familles avec enfants, est une tâche extrêmement difficile. Une fois que la première école sera rouverte, au printemps 2017, nous espérons que des familles reviendront ici», souligne au Temps Yukiei Matsumoto.
Une ville au ralenti
En dehors des travaux, la ville tourne au ralenti. L’activité commerciale se résume à un supermarché, une cantine et une roulotte ambulante qui vend du café. Yukiko Takano, 43 ans, en est la gérante. Avant la catastrophe, elle était infirmière. Une fois relogée à Iwaki, elle a enchaîné différents jobs, notamment dans une entreprise alimentaire. «J’y ai loué un appartement avant d’obtenir des compensations de [la société électrique] Tepco, à hauteur de 100 000 yens par mois [environ 900 francs] pendant cinq ans. Mes parents ont vécu dans un logement temporaire, mais mon père est décédé en 2014. J’ai toujours prévu de revenir vivre à Naraha. La radioactivité ne me préoccupe pas, contrairement à mon frère qui a des enfants. Avec mon père, nous nous étions promis de revenir ici. Je regrette donc que l’ordre d’évacuation n’ait pas été levé plus tôt. C’est frustrant», témoigne-t-elle.
Sentiment de solitude
Selon Yukiko Takano, vivre à Naraha est difficile. Dans son quartier, seules trois ou quatre maisons sont habitées. «Je ne rencontre pratiquement personne que je connais. Bien entendu, j’ai des contacts durant la journée avec mes clients, essentiellement des travailleurs dans le secteur de la construction, mais la nuit, je me sens seule. Les relations sociales ne sont plus comme avant», déplore-t-elle.
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Ce sentiment de solitude, Toshimitsu Wakizawa, livreur de journaux de 67 ans, le ressent aussi. «Les relations sociales me manquent, raison pour laquelle je me rends parfois à la mairie. Il arrive parfois que je ne parle à personne pendant plusieurs jours d’affilée. Dans mon quartier, seul une de mes deux sœurs, un charpentier et moi sommes retournés», témoigne-t-il. Pour faire ses achats, il se rend à Iwaki, soit un aller-retour en voiture d’une heure et demie.
Chute du salaire
Après quatre ans d’inactivité, le célibataire sexagénaire s’est donné pour mission de relancer son service de livraison de journaux. Les débuts sont très laborieux. «Mes revenus dépendent des ménages et des encarts publicitaires. Or, je ne livre mes journaux qu’à cent foyers, contre 800 avant la catastrophe. Comme toutes les entreprises ont quitté Naraha, elles ne font plus d’encarts publicitaires. Du coup, je gagne 90% de moins qu’avant. Mon business est déficitaire. Or, prochainement, les compensations que je reçois de Tepco prendront fin. Je ne pourrai donc pas continuer comme cela pendant dix ans et ma crainte actuellement, c’est que je n’ai personne pour reprendre mes affaires», souligne-t-il.
De son côté, Kentaro Aoki, 26 ans, a décidé de ne pas retourner vivre à Naraha. «Tôt ou tard, je me marierai et j’aurai envie de fonder une famille. Je suis certes attaché à cette ville, car j’y ai vécu durant vingt ans, mais je préfère rester à Iwaki. De plus notre maison à Naraha a été endommagée par le tremblement de terre et elle vient d’être rasée», raconte-t-il. Après avoir travaillé à la centrale nucléaire de Fukushima jusqu’en 2015, il a été engagé au sein de Kidogawa, une coopérative de pêche. «J’ai changé de travail sous la pression de mes parents. Ils trouvaient que mon travail [ndlr: mesurer les taux de radioactivité dans la centrale] était trop dangereux et que j’étais trop jeune», explique-t-il.
Boycott des consommateurs
A Naraha, la pêche a été inexistante durant quatre ans. Elle n’a repris que l’an dernier, timidement, grâce aux subventions obtenues par la coopérative auprès de Tepco. Après avoir effectué des tests sur différentes sortes de poissons, Kentaro Suzuki, patron de la coopérative qui emploie trois personnes, s’est concentré sur les saumons. «C’est la seule variété de poisson avec des niveaux de radioactivité respectant les normes pour pouvoir être commercialisés. Nous élevons 1,4 million de bébés saumon en bassin avant de les relâcher dans les rivières, contre 12 millions avant la catastrophe de Fukushima. C’est grâce à cette activité que nous pouvons obtenir des subventions. L’an dernier, entre octobre et décembre, soit la haute saison pour notre activité, nous avons engagé 20 collaborateurs, soit environ trois fois moins qu’en 2010. Nous attendrons trois ou quatre ans avant que les saumons reviennent là où nous les avons relâchés et nous les pêcherons», explique-t-il.
Mais pour Kentaro Suzuki, l’image des produits de la région a été fortement détériorée à cause de l’accident nucléaire. Même si le taux de radioactivité respecte les normes, les consommateurs n’achètent pas les produits qui viennent de la région.
100 000 évacués
En dehors de la pêche, trois entreprises envisagent de s’implanter à Naraha. Son maire semble toutefois privilégier la reconstruction de logements. Après cinq ans sans occupants, un millier de maisons sont devenues inhabitables, en plus de celles détruites par le tsunami et le tremblement de terre. «Nous avons démarré un plan de construction de 130 maisons et je veux qu’elles soient terminées cette année pour permettre aux anciens habitants de Naraha de revenir», ambitionne Yukiei Matsumoto.
Cinq ans après la catastrophe, près de 100 000 personnes de la préfecture de Fukushima n’ont pas encore pu regagner leurs foyers. Environ 19 000 d’entre elles vivent dans des logements préfabriqués.