Pacifique
La minuscule île du Pacifique répondait mardi aux critiques de l'ONU sur le traitement des réfugiés qu'elle accueille pour le compte de l'Australie

Abyan, c’est un pseudonyme, a enfin quitté Nauru, un confetti de territoire perdu dans le Pacifique où se morfondent un millier de boat people interceptés par la marine australienne. La réfugiée somalienne avait été violée. L’Australie l’avait pourtant réexpédiée à Nauru en octobre dernier, sans qu’elle ait pu mettre un terme à sa grossesse comme elle souhaitait et malgré le risque de croiser son agresseur sur une île de 10 000 habitants. Le destin fracassé d’Abyan illustre le coût humain de la politique de l’Australie, qui sous-traite l’accueil de migrants à d’autres pays peu recommandables.
Mardi, le gouvernement de Nauru passait justement son grand oral devant le Conseil des droits de l’homme. Face aux critiques, la délégation a annoncé que les requérants d’asile seraient désormais libres de leurs mouvements, alors qu’ils étaient auparavant enfermés en attendant que leur sort soit réglé. Ils ne pourront pas aller bien loin: Nauru ne fait que 21 kilomètres carrés. Ils n’iront en tout cas pas en Australie.
Depuis 2012, l’île continent a réactivé sa «solution du Pacifique». Une politique radicale qui vise à intercepter tous les immigrants clandestins avant qu’ils n’atteignent les côtes australiennes. Ils sont ensuite transférés à Nauru, à Manaus, une île au large de la Papouasie-Nouvelle Guinée ou sur l’île de Christmas, un territoire australien.
«Une politique qui marche»
Le nouveau premier ministre australien, le libéral Malcom Turnbull, ne compte pas changer cette pratique. «Soyons absolument clairs: les gens sur Nauru ou Manaus ne seront pas réinstallés en Australie. C’est une politique sévère mais elle a marché», a-t-il déclaré en septembre, alors qu’il venait d’éjecter du pouvoir son rival de parti Tony Abbott.
L’Australie se targue d’avoir évité depuis 2012 tout naufrage en mer, contrairement à l’hécatombe en Méditerranée. La classe politique est quasi unanime sur ce point et se félicite d’avoir cassé le «business model» des passeurs en dissuadant les migrants de venir en Australie.
«Non seulement, cette politique est moralement indéfendable, mais elle n’a fait que déplacer les flux migratoires vers l’Europe», réagit David Camroux, professeur de sciences politiques au CERI à Paris. Selon ce Franco-Australien, la «solution du Pacifique» serait difficilement transposable. N’en déplaise à l’ancien premier ministre Tony Abbott qui était à Londres la semaine dernière pour convaincre les Européens d’adopter le modèle australien.
«Il n’y a que cinq kilomètres entre la Turquie et l’île de Lesbos en Grèce, pointe David Camroux. De plus, la politique australienne coûte cher: plus d’un milliard de dollars par an pour la société privée qui gère les camps de transit offshore. Sans compter la mobilisation de la marine australienne, qui n’a pas hésité à payer des passeurs pour qu’ils rebroussent chemin vers l’Indonésie. «Tout cela est devenu très impopulaire et je pense que Malcom Turnbull souhaiterait fermer les Guantanamo de l’Australie», estime le professeur.
«Les envoyer sur Mars»
Canberra cherche des pays d’accueil. Un accord a été conclu avec le Cambodge en septembre 2014, mais malgré les millions de dollars versés à Phnom Penh, seuls cinq réfugiés y ont été transférés. L’Australie songe désormais au Kirghizistan. «Nous pourrions les envoyer sur Mars», a récemment ironisé un député vert.
En attendant, les réfugiés sont condamnés à errer sur l’île exsangue de Nauru. Pour combien de temps? Le gouvernement de Nauru, qui se substitue à l’Australie en échange de quelques rentrées financières, n’en a aucune idée. «Tout dépendra des décisions prises à Canberra», reconnaît Charmaine Scotty, l’une des cinq ministres de Nauru. «Les réfugiés créent toutes sortes de problèmes. Les associations qui les défendent leur ont fait miroiter l’Australie, alors ils sont fâchés.»
Nauru était pourtant l’un des pays les riches du monde. Mais l’île a exploité jusqu’à la moelle ses gisements de phosphate. Ces ressources qui avaient fait sa fortune font aujourd’hui sa ruine. Les seules terres encore cultivables bordent l’océan. Elles sont désormais à merci de la montée des eaux.