Sa voix est posée et chaleureuse. Ses mots suivent sans la moindre interférence le flux de sa pensée. Depuis la mi-janvier, Nazhat Shameem Khan est la nouvelle présidente du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU pour 2021. Fidjienne, elle apporte à l’institution onusienne un air frais venu du large. Ambassadrice d’une mission diplomatique qui ne s’est installée à Genève qu’en 2014 avec l’aide de la Confédération, elle se félicite de donner une telle visibilité à son Etat et à l’Asie-Pacifique, qui n’est représentée que par quatre missions au bout du Léman.

Mais elle le reconnaît: ces dernières années, elle a dû passer beaucoup de temps à expliquer aux Fidjiens et à son gouvernement ce qu’était vraiment le CDH, quel était son impact sur la vie des gens. «Mon élection, souligne-t-elle, démontre que le Conseil est un organe inclusif accessible même aux petits pays. Elle prouve la pertinence du CDH pour le Pacifique et du Pacifique pour le Conseil. Nous le constatons aux Fidji, les gens voient de plus en plus le changement climatique comme une question de droits humains.» Sa mission est d’entendre la voix des Etats bien sûr, mais aussi celle de la société civile pour avoir toutes les facettes d’un problème.

Un dicton fidjien

Au CDH, le combat des puissances entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui viennent de faire un retour remarqué (Russie, Chine, Royaume-Uni et France en tant que membres à part entière et les Américains comme observateurs) ne l’effraie pas. Reprenant un dicton fidjien, elle le souligne: aucune discussion au CDH ne sera complète et efficace tant que tout le monde «ne sera pas dans le même canoé. Aucun pays n’est parfait. Chacun a ses propres problèmes, qu’il s’agisse de prisons surpeuplées, du manque d’accès à la santé ou à des écoles de qualité dans les zones rurales.»

C’est précisément son expérience dans le domaine du droit qui donne à Nazhat Shameem Khan une vision holistique de son rôle de présidente. Ancienne responsable du parquet des Fidji, elle a entamé sa carrière comme procureure avant d’être la première femme à accéder à la Haute Cour du pays, où elle a traité d’affaires en lien avec les différents coups d’Etat qui ont secoué son pays.

Par ses différentes fonctions, elle a pu saisir très concrètement l’importance des droits fondamentaux pour tout individu. Elle s’est ainsi réjouie de l’avènement de la première Constitution des Fidji en 1997, qui donne au pouvoir judiciaire des compétences uniques pour analyser la constitutionnalité de lois. Elle insiste sur la responsabilité des juges pour «protéger l’individu contre l’énorme pouvoir de l’Etat». Elle reste à ce jour admirative de la Constitution de l’Afrique du Sud, «l’une des plus progressistes du monde».

Diplômée en droit de l’Université de Sussex et en criminologie de l’Université de Cambridge, elle a souhaité retourner aux Fidji pour y pratiquer le droit. Le Pacifique est «une région fascinante en termes de développement de la jurisprudence en lien avec les droits humains et le changement climatique».

Elle a gardé du Royaume-Uni son accent distingué ainsi que sa considération pour le système éducatif britannique dont ses parents, de grands lecteurs, ont souhaité qu’elle bénéficie. Portant fièrement un magnifique sari de soie, Nazhat Shameem Khan reste néanmoins profondément Fidjienne. De père ayant immigré de Multan au Pakistan et d’une mère née aux Fidji et originaire de l’Inde, elle est elle-même l’expression de la diversité sociale de cette île-Etat devenue indépendante de la couronne britannique en 1970.

Eduquée dans une famille éprise d’arts et de culture, elle écrira et produira même des pièces de théâtre. Ce qu’elle aime dans son pays, c’est l’humilité qui transpire de la culture locale. L’arrogance, prévient-elle, est, pour un Fidjien, le trait de caractère à conjurer à tout prix. Elle se reconnaît aussi dans le sens communautaire très développé dans son pays et n’est pas étonnée quand des dignitaires étrangers font l’éloge des Casques bleus fidjiens, des pacificateurs dans l’âme.

La «sérénité» de Genève

A Genève, elle a découvert une ville culturellement très différente. Une ville où les ambassadeurs sont affables, une ville multilatérale à la «sérénité unique», où «chacun connaît les imperfections et les forces de chacun».

Pour elle, le CDH ne peut être un organe onusien figé dans le temps. Il doit être capable de se réformer, car «toute institution qui n’est pas capable de répondre aux besoins du moment perd sa pertinence». Elle a conscience d’assister à une confrontation de deux philosophies, l’une axée sur les droits civils et politiques de l’Occident et des Etats-Unis et l’autre plus focalisée sur les droits économiques, sociaux et culturels des pays dits du Sud et de la Chine. «Pour moi, la question est vite tranchée: ces différents droits sont indivisibles et intrinsèquement liés.»

Dotée d’une détermination mâtinée de malice et d’un humour enjoué, elle ne s’inquiète pas de l’opposition de la Chine, de la Russie et de l’Arabie saoudite à son élection en janvier. Sa riposte: «C’était une élection à bulletins secrets, non?»


Profil

1960 Naissance à Suva, capitale des Fidji.

1994 Première femme responsable du parquet des Fidji.

1999 Première femme à devenir juge à la Haute Cour des Fidji.

2014 Ambassadrice des Fidji auprès de l’ONU à Genève.

2021 Présidente du Conseil des droits de l’homme.


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