Publicité

«Je ne crois pas à une guerre du gaz entre la Russie et la Géorgie»

Le géant gazier russe Gazprom veut doubler les prix du gaz à destination de Tbilissi. Après l'Ukraine, une nouvelle crise énergétique?

Un an après la guerre du gaz russo-ukrainienne, le géant gazier russe Gazprom a demandé jeudi le doublement du prix de ses fournitures gazières à destination de la Géorgie, à partir de 2007. Le même jour, le ministre géorgien des Affaires étrangères était en Russie pour la première fois depuis le début, il y a un mois, d'une grave crise diplomatique entre les deux pays. Arnaud Dubien, rédacteur en chef du bulletin d'analyse Russia Intelligence évoque les enjeux de la crise russo-géorgienne.

Le Temps: Après le précédent ukrainien, s'agit-il d'une nouvelle guerre du gaz entre la Russie et cette fois la Géorgie?

Arnaud Dubien: Je ne le crois pas. La situation et les enjeux sont très différents. La décision de Gazprom, déjà annoncée fin août, est tout sauf une surprise, y compris pour les Géorgiens. Car les relations bilatérales entre la Russie et la Géorgie se sont fortement dégradées depuis des semaines. Il se passe tellement de choses graves entre ces deux pays que l'augmentation attendue du prix du gaz n'est qu'un élément parmi d'autres.

  • Le scénario est en tout cas le même qu'en Ukraine...

  • A la différence près qu'il s'agit pour Tbilissi de volumes très limités. La Géorgie a plongé économiquement de manière spectaculaire après l'effondrement de l'URSS. Elle n'a jamais été un pays industriel de l'envergure de l'Ukraine. Par ailleurs, le gazoduc qui reliera Bakou à Erzurum, en Turquie, permettra à la Géorgie de recevoir dès l'an prochain du gaz en provenance d'Azerbaïdjan. Et, dernière différence, les Européens prêtent moins d'attention à ce différend car ils ne sont pas directement concernés: le gaz russe à destination de l'Europe ne transite pas par la Géorgie.

  • Après Kiev, la Russie n'utilise-t-elle pas à nouveau le gaz comme une arme énergétique pour mettre au pas un voisin récalcitrant?

  • Il s'agit plus d'un signal politique que d'une mesure de rétorsion. L'augmentation des prix du gaz ne vient que s'ajouter à toute une série de représailles: la suspension des lignes aériennes, terrestres et maritimes avec la Géorgie, la suspension des virements bancaires ou encore l'embargo sur les produits agricoles. C'est un nouvel épisode dans la guerre qui risque de devenir ouverte entre la Russie et la Géorgie. Le moyen de pression le plus important pour Moscou reste le soutien direct et indirect aux républiques séparatistes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie.

  • Depuis son différend avec l'Ukraine, Gazprom est soupçonné de moduler ses tarifs en fonction des relations politiques de la Russie avec ses pays clients...

  • Il y a incontestablement une logique financière. L'Arménie, qui est l'allié principal de la Russie dans la région paye 110 dollars les 1000 m³, comme la Géorgie à l'heure actuelle. Gazprom veut faire payer tout le monde plus cher, y compris la Biélorussie, un autre allié de Moscou. Etre proche du Kremlin n'est plus une garantie car Gazprom veut bel et bien aligner les prix sur ceux du marché mondial.

  • Depuis le bras de fer avec Kiev, l'augmentation des tarifs gaziers est un symbole très fort de la détérioration des relations entre la Russie et un ex-satellite...

  • C'est évident. Mais, une fois de plus la comparaison avec l'Ukraine a ses limites. L'hypothèse d'une rupture pure et simple de l'approvisionnement est par exemple peu probable. Dans une telle situation, l'allié arménien serait lui aussi touché car l'Arménie est approvisionnée via la Géorgie.

  • Votre avis sur l'issue de la crise?

  • La Russie n'attend plus rien de la Géorgie, dirigée par Saakachvili. D'un point de vue russe, la Géorgie est devenue un satellite américain dans le Caucase. Pour la Russie, un changement de régime serait l'idéal. Je crois volontiers à un scénario de dérapage en Abkhazie et en Ossétie du Sud - où le référendum sur l'autodétermination du 12 novembre pourrait précipiter les choses - qui servirait de prétexte à une crise plus grave. L'octroi de la citoyenneté russe à l'ensemble des populations des républiques séparatistes est autrement plus préoccupant qu'une augmentation des prix du gaz. Car le moment venu, la Russie pourrait invoquer la protection de ses concitoyens pour intervenir militairement.